Les Dieux S'amusent
coutume, Agamemnon, comme il l’avait déjà
fait à Aulis, consulta Calchas, le devin attitré de l’armée. Devant l’assemblée
des rois grecs, Calchas déclara que l’épidémie était envoyée par Apollon, pour
punir Agamemnon d’avoir enlevé par la force une jeune fille nommée Chriseis, fille
d’un prêtre du dieu du soleil.
Calchas ajouta que la peste ne s’arrêterait que lorsque
Chriseis aurait été rendue à son père. Agamemnon commençait à en avoir assez d’être
toujours désigné comme le coupable et d’avoir toujours à payer les pots cassés.
Aussi refusa-t-il d’abord de rendre Chriseis. Puis, devant l’insistance des
autres rois, il finit par y consentir, mais en déclarant qu’il se dédommagerait
en prenant, parmi les prisonnières des autres rois grecs, une jeune fille de
son goût pour remplacer Chriseis. Achille n’apprécia pas du tout cette attitude.
Il faut dire qu’il supportait difficilement l’autorité d’Agamemnon, à qui il se
jugeait supérieur à la fois par la naissance, puisqu’il était le fils d’une
déesse, et par la valeur guerrière. Aussi déclara-t-il avec emportement qu’il
en avait assez des caprices d’Agamemnon et que, si cela continuait, il
rentrerait chez lui. Piqué au vif, Agamemnon lui répondit :
— Va-t’en si tu veux, nous nous passerons bien de toi. Mais,
auparavant, sache que c’est justement une de tes prisonnières, la jolie Briseis,
que je choisis pour remplacer Chriseis.
Or Briseis était non seulement la prisonnière d’Achille, mais
aussi son amante. Devant la prétention d’Agamemnon de s’en emparer, Achille
perd tout contrôle, dégaine son épée et, décidé à en découdre, s’élance sur
Agamemnon. Ulysse cherche à le calmer par la parole, mais se fait rabrouer. Ajax
cherche à le retenir de ses bras puissants, mais Achille, dont les forces sont
décuplées par la colère, le projette, cul par-dessus tête, à dix pas. Et c’en
était fait, assurément, d’Agamemnon si Minerve, qui observait la scène et ne
voulait pas voir ses chers Grecs se déchirer entre eux, n’eût jeté devant les
yeux d’Achille, à la dernière seconde, un brouillard qui l’empêche de voir son
adversaire et lui donne le temps de se calmer un peu. Achille n’en reste pas
moins ulcéré et, quittant l’assemblée des rois, va se retirer sous sa tente, ou
plutôt dans sa baraque ; car, contrairement à ce qu’on dit parfois, certains
rois grecs, et notamment Achille, vivaient dans des baraques de bois qu’ils
avaient eu, en neuf ans, largement le temps de construire.
Pendant les heures qui suivent, Nestor et Ulysse, déployant
toute leur éloquence, cherchent à persuader Agamemnon de renoncer à son projet :
— Achille est le meilleur de nos guerriers. Sans lui, nous
ne pourrons jamais gagner cette guerre. Prends l’une de nos prisonnières, ou
même plusieurs si tu le désires, mais laisse Briseis à Achille.
Agamemnon, orgueilleux et buté, ne se laisse pas fléchir. Comme
il s’y est engagé, il rend Chriseis à son père, mais envoie en même temps deux
messagers au camp d’Achille, pour s’emparer de Briseis. Achille se dispose à la
défendre par la force, et n’aurait aucun mal à expédier dans l’autre monde les
deux messagers épouvantés. Mais Nestor et Ulysse interviennent une fois de plus
en faisant valoir à Achille qu’Agamemnon est le chef suprême de l’armée et que
chacun lui doit obéissance. À contrecœur, Achille se laisse convaincre et se
sépare, en pleurant, de sa chère Briseis qui s’accroche en vain à lui.
— Je m’incline devant cet abus de pouvoir, s’écrie
alors Achille, mais dorénavant cette guerre n’est plus la mienne. J’étais venu
ici, en laissant derrière moi mon palais, mon père et mon peuple, par amitié
pour Ménélas dont on avait volé la femme. Mais, puisqu’on me vole à mon tour ma
compagne et que le voleur est Agamemnon lui-même, qu’on ne compte plus sur moi.
Quoi qu’il arrive, je resterai désormais dans ma baraque et mes troupes
resteront dans leur camp. Même si l’armée grecque tout entière, avec ses chefs,
était massacrée sous mes yeux par le vaillant Hector et ses soldats, je ne
remuerais pas le petit doigt pour les sauver.
Et, s’asseyant devant sa baraque, il se met, d’un air
détaché, à jouer de la lyre.
Ulysse et Nestor accueillent cette déclaration par un
silence consterné. Mais il n’en est pas de même de l’immonde
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