Les Dieux S'amusent
Diomède. Celui-ci, déchaîné, lui porte un terrible coup d’épée
au bras. Mars, qui est aussi douillet que poltron, pousse un cri déchirant, si
puissant qu’il domine l’immense clameur de la bataille, et s’enfuit
honteusement. Il remonte sur l’Olympe aussi vite qu’il en était descendu et, pleurant
comme un enfant, va se faire soigner et consoler par sa mère, Junon, cependant
que Jupiter ricane en lui disant :
— Cela t’apprendra à désobéir à mes ordres.
L’intervention de Mars a pourtant donné le temps à Hector de
se rendre à l’endroit où Diomède portait son attaque. Rassurés par la présence
d’Hector, les Troyens se regroupent et font face aux Grecs. Le combat est
acharné. Les pertes sont lourdes dans les deux camps. Alors Hector s’adresse à
Ulysse en ces termes :
— C’est par suite d’une méprise et, me semble-t-il, d’une
tromperie divine que l’accord que nous avions passé a été rompu. Mais Pandarus,
l’auteur de la trahison, a été puni. Je te propose donc d’organiser un nouveau
combat singulier pour décider du sort de cette guerre. Cette fois, c’est
moi-même, Hector, qui porterai les couleurs de Troie, et je suis prêt à
affronter n’importe lequel des chefs grecs.
Le combat s’arrête, les rois grecs se consultent pour savoir
qui sera opposé à Hector.
Ménélas se porte volontaire, mais ses compagnons lui font
valoir qu’avec sa blessure au flanc il n’a aucune chance de résister à Hector. À
vrai dire, en l’absence d’Achille, deux Grecs seulement sont de taille à
affronter Hector : Diomède et Ajax. Or le premier des deux est handicapé
par la blessure que lui a faite Pandarus ; les chefs grecs décident donc, à
l’unanimité, que c’est Ajax qui défendra leur camp.
Une fois de plus, un rectangle est tracé sur le sable. Les
deux colosses y prennent leurs places, l’un en face de l’autre. Pour s’exciter
au combat, ils se défient et s’invectivent, non sans grossièreté :
— Espèce de sac à vin ! lance Hector, faisant
allusion à la propension immodérée d’Ajax pour les boissons alcoolisées.
— Nous allons voir si tu cours aussi vite que ton frère
Pâris, réplique Ajax.
Après ces aimables préliminaires, le combat commence. Hector,
le premier, lance son javelot, qui vient se briser sur l’énorme bouclier d’Ajax.
Le javelot d’Ajax, en revanche, rompt le bouclier d’Hector et fend sa cuirasse,
mais sans la transpercer. Hector, qui, vous vous en souvenez, était champion
incontesté du lancer du poids, ramasse une lourde pierre et la projette si
violemment sur le bouclier d’Ajax qu’elle le lui arrache des mains. Privés de
leurs boucliers, les deux héros engagent alors un duel à l’épée, long et
acharné. Ils sont d’une force égale, et les coups qu’ils se portent sont si
violents qu’on les entend dans toute la plaine. Le duel avait débuté à six
heures du soir : à neuf heures, alors que la nuit commence à tomber, il se
poursuit toujours, sans résultat décisif. Nestor, le vieux roi grec, intervient
alors :
— Vous êtes aussi vaillants et aussi forts l’un que l’autre,
déclare-t-il aux deux guerriers, et je vois qu’aucun d’entre vous ne l’emportera
aujourd’hui. Mettez donc un terme à ce noble combat.
Ajax et Hector, épuisés, acceptent cette proposition. Ils
remettent l’épée au fourreau, se serrent sportivement la main et, de même que
de nos jours les joueurs de rugby échangent leurs maillots après un match, ils
échangent leurs cuirasses ensanglantées. Alors, la nuit étant tombée
complètement, les deux armées se retirent dans leur camp.
26. Exploits nocturnes de Diomède et Ulysse
De retour à leur
camp, les principaux chefs grecs se réunissent dans la baraque d’Agamemnon.
Ils se demandent ce que vont faire les Troyens le lendemain : vont-ils
attaquer, à quelle heure et où ?
— Le seul moyen de le savoir, dit Nestor, serait d’envoyer
cette nuit même, en reconnaissance, deux d’entre nous dans le camp troyen, pour
surprendre leurs conversations.
Chacun approuve cette idée, et Agamemnon propose de désigner,
pour cette dangereuse mission, Diomède le baroudeur et Ulysse le rusé. Malgré
leur fatigue, ceux-ci acceptent. Ils s’habillent de vêtements sombres, s’enduisent
le visage et les mains de suie, et se gardent bien de porter un casque ou une
cuirasse, qui risqueraient de briller aux rayons de la lune et d’attirer
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