Les Dieux S'amusent
Arrivés à
destination, c’est-à-dire au royaume de Pélias, les Argonautes se séparèrent, non
sans s’être promis solennellement de se réunir une fois par an pour évoquer
leurs souvenirs communs — ce qu’ils ne devaient naturellement jamais faire.
Jason, pour sa part, se rendit chez son oncle Pélias, lui remit la Toison d’or
et réclama le trône.
Comme on pouvait s’y attendre, Pélias se fit tirer l’oreille
et chercha à gagner du temps. Médée, prête à tout pour défendre les intérêts de
Jason, prend alors l’affaire en main.
Elle va trouver un soir les deux filles de Pélias et leur
dit :
— Votre père est vieux et malade ; vous ne
tarderez pas à le perdre. Je puis cependant, si vous le souhaitez, lui rendre
jeunesse et vigueur par une opération magique. Je vais vous en faire, à l’instant
même, la démonstration.
Médée remplit d’eau un grand chaudron, y verse du sel et
diverses plantes et porte le tout à ébullition ; elle égorge un très vieux
bélier, qui pouvait à peine se tenir debout, et en jette les morceaux dans le
chaudron bouillonnant ; elle récite alors une formule magique et, à leur
stupéfaction, les filles de Pélias voient sortir du chaudron un jeune agneau
qui part en gambadant.
— Je peux faire la même chose pour votre père, commente
Médée, à condition que, profitant de son sommeil, vous l’égorgiez et le
découpiez comme je l’ai fait pour le bélier.
Crédules, les jeunes filles exécutent aussitôt les
instructions de Médée et lui apportent les morceaux de Pélias. Médée les jette
dans le chaudron… et prétend alors avoir complètement oublié la formule magique
qui lui a servi pour le bélier.
— Mais peu importe, ajoute-t-elle cyniquement, vous
allez pouvoir vous régaler d’un excellent pot-au-feu.
Grâce exclusivement à l’aide de Médée, Jason, qui n’était
lui-même qu’un bellâtre falot et égoïste, avait donc reconquis son trône et
acquis une réputation de héros. Bien qu’il fût loin d’éprouver pour Médée des
sentiments aussi ardents que ceux qu’elle avait pour lui, il ne lui manifesta
pas instantanément son ingratitude. Il accepta même de l’épouser et elle lui
donna deux enfants. Mais quelques années après, au cours d’un voyage qu’il fit
à Corinthe, il séduisit la fille du roi et, jugeant qu’elle serait pour lui un
excellent parti, annonça à Médée, dès son retour, qu’il la répudiait. Il était
prêt, disait-il, à lui servir une pension alimentaire honorable.
— Tu me prends pour Ariane, lui dit-elle simplement, mais
je ne suis pas faite du même bois qu’elle.
Elle commença par faire cadeau à la nouvelle fiancée de
Jason d’une robe empoisonnée, dans laquelle la jeune fille périt comme Hercule.
Puis elle mit à mort les deux enfants qu’elle avait eus de Jason. Elle quitta
alors Jason, le laissant à son chagrin, et poursuivit pendant plusieurs années,
dans divers États de la Grèce, une brillante carrière de magicienne et d’empoisonneuse.
Lorsque Nestor eut terminé ce récit, ses auditeurs voulurent
savoir quel avait été le destin ultérieur des principaux membres de l’équipe
des Argonautes.
— Certains d’entre eux n ont-ils pas participé à la
chasse au sanglier de Calydon, du temps de mon grand-père ? demanda
Diomède.
— Sans doute, répondit Nestor un peu sèchement, mais
cette histoire ne présente aucun intérêt.
En fait, l’histoire du sanglier de Calydon n’était pas plus
ennuyeuse que beaucoup de celles qu’avait racontées Nestor, mais il se trouve
que lui-même y avait joué un rôle peu reluisant : effrayé par le sanglier
monstrueux, il s’était servi de sa lance comme d’une perche pour se propulser
sur une branche d’arbre à quatre mètres de haut, d’où il avait observé
passivement les péripéties sanglantes de la chasse. Il accepta en revanche bien
volontiers de raconter à ses auditeurs les aventures d’Hercule et de Thésée, que
mes lecteurs connaissent déjà, ainsi que celles d’Orphée, qu’ils ne connaissent
pas encore.
Orphée aux enfers
Après son retour de Colchide, Orphée mena pendant quelque
temps la vie dorée d’un grand virtuose, se produisant avec un immense succès
dans toutes les cours de Grèce et même sur l’Olympe, où il se fit d’utiles
relations. Il tomba un jour amoureux d’une de ses admiratrices, une jeune fille
nommée Eurydice, et s’apprêtait à l’épouser
Weitere Kostenlose Bücher