Les Dieux S'amusent
plaider sa cause est Agamemnon.
— C’est moi le chef suprême de l’armée grecque, dit-il,
c’est donc moi le plus méritant.
Nestor lui rappelle que, pour avoir provoqué la colère et la
défection d’Achille, le chef suprême de l’armée grecque a bien failli la faire
massacrer. Ménélas intervient ensuite et prétend avoir droit à l’héritage d’Achille
en guise de dédommagement pour l’enlèvement d’Hélène, Mais Nestor lui fait
observer que les autres rois grecs, qui ont quitté leur pays et leur famille
depuis près de dix ans pour aider Ménélas à reprendre sa femme, méritent bien
autant que lui un dédommagement. Diomède prend alors la parole :
— Je suis, après Achille, le plus vaillant des chefs
grecs. Je l’ai prouvé par mes exploits pendant qu’Achille ne participait pas au
combat, par mon obstination à continuer la lutte alors qu’Agamemnon, découragé,
songeait à lever le siège, et par mon audacieuse mission nocturne à Troie, en compagnie
d’Ulysse.
Il aurait mieux fait de ne pas mentionner ce dernier épisode ;
en effet, les Grecs avaient été choqués par la déloyauté et la cruauté dont
Diomède avait fait preuve, à cette occasion, en égorgeant les deux soldats
troyens à qui il avait promis la vie sauve.
Ajax se lève à son tour et rappelle les services qu’il a
rendus à la cause grecque :
— C’est moi, dit-il, qui ai eu l’honneur d’affronter
Hector en combat singulier et de lui tenir tête. Et c’est moi encore qui, lorsque
tous les autres chefs grecs étaient hors de combat, ai tenu tête tout seul à
Hector pour protéger nos vaisseaux de l’incendie.
Un murmure d’approbation accueille ses paroles et Nestor
semble disposé à donner satisfaction à Ajax. Mais Ulysse n’a pas encore fait
valoir ses droits. Il a habilement attendu le dernier moment pour intervenir, sachant
que c’est souvent le dernier qui parle qui a raison. Il s’exprime avec une
feinte modestie.
— Pour ma part, dit-il, je ne me prends pas pour un
héros et je ne réclame aucune récompense. Certes, c’est moi qui ai eu la chance
de découvrir Achille et de le forcer à participer à notre expédition, alors qu’il
se cachait dans un pensionnat de jeunes filles ; le sort a aussi permis
que je rapporte, de mon expédition nocturne à Troie, le Palladion et les
chevaux de Rhésus ; et les dieux m’ont inspiré l’idée de construire le
fossé et la palissade qui ont à plusieurs reprises sauvé l’armée grecque du
désastre. Mais, dans ces diverses circonstances, je n’ai fait que mon devoir, et
je ne crois pas avoir plus de titres à l’héritage d’Achille que n’importe
lequel des soldats grecs qui, tous les jours, risque sa vie et verse son sang
pour la patrie.
Ce discours habile est reçu avec faveur par l’assistance, et
Nestor, qui a toujours eu une sympathie particulière pour Ulysse, lui attribue
l’héritage d’Achille. Agamemnon, Ménélas et Diomède se soumettent de bonne
grâce à ce verdict. Mais Ajax, déçu, indigné, et qui a bu plus que de raison, est
pris soudain d’une crise de folie furieuse. Dans son égarement, il gifle le
vénérable Nestor, bouscule Agamemnon et Ménélas qui tentaient de s’interposer, dégaine
son épée, massacre un troupeau de cochons qu’il prend pour les soldats d’Ulysse,
s’empare d’un bélier qu’il prend pour Ulysse lui-même, l’attache à un mât et le
fouette à mort. Lorsque enfin il retrouve ses esprits et s’aperçoit de son
comportement grotesque, la colère fait place chez lui à la honte ; il se
retire sans un mot dans sa baraque et se suicide d’un coup d’épée en plein cœur.
Son frère Teucer, qui s’était remis de sa propre blessure, demande
aux Grecs d’organiser des funérailles solennelles pour Ajax. Agamemnon et la
plupart des rois s’y opposent, alléguant que, par sa crise de folie et son
suicide, Ajax s’est déshonoré et mérite que son corps soit jeté aux chiens. Mais,
à la surprise générale, Ulysse intervient en faveur d’Ajax :
— C’était mon ennemi, dit-il, et il a voulu me tuer ;
mais cela n’empêche pas qu’il fut un héros et qu’il a sauvé notre armée. Il a
donc droit aux honneurs funèbres et à une sépulture décente.
Agamemnon se rend à cet argument et Teucer remercie Ulysse :
— Tu as la réputation d’être dur, lui dit-il, mais tu t’es
montré aujourd’hui le plus noble de tous les rois.
30. Le cheval de
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