Les Dieux S'amusent
première fois depuis plus de dix ans, de la nymphe
Œnone, son ancienne amante, qu’il a abandonnée sans explication le jour où il a
donné la pomme d’or à Vénus. Œnone, il le sait, a l’art de guérir les blessures.
Elle seule peut le sauver. Il se fait porter en toute hâte sur le mont Ida, dans
un bosquet qu’elle affectionnait. Il l’y trouve.
— Au nom de notre amour passé, murmure-t-il, je t’en
supplie, soigne-moi.
Mais Œnone ne lui a pas pardonné sa trahison ; depuis
dix ans, elle rumine sa rancœur et sa jalousie, en espérant que l’heure de la
vengeance sonnera. Elle a sonné.
— Mange donc une pomme d’or, laisse-t-elle tomber
ironiquement, cela te fera peut-être du bien.
Et Pâris rend le dernier souffle.
Nul ne dit si Hélène fut ou non affectée par la mort de Pâris.
Ce que l’on sait, c’est que, incapable de vivre longtemps sans homme, elle se
remaria quelques semaines plus tard avec Déiphobe, le jeune frère de Pâris.
Cependant, la mort de Pâris ne suffisait pas à assurer aux
Grecs la victoire. La guerre restait indécise et semblait devoir s’éterniser. Privés
d’Hector, les Troyens évitaient désormais les combats en rase campagne et
restaient enfermés dans leurs remparts, que les Grecs n’étaient pas en mesure
de prendre d’assaut.
Grâce aux immenses greniers qu’avaient construits Apollon et
Neptune en même temps que les remparts, les Troyens étaient capables de
soutenir, s’il le fallait, un siège de vingt ans, et les Grecs le savaient.
C’est pourquoi, peu après la mort de Pâris, le découragement
s’empare des Grecs une fois de plus, et Agamemnon, à nouveau, songe à lever le
siège. C’est Ulysse, cette fois, qui s’y oppose. Il invite les rois grecs à
déjeuner et leur fait part d’un plan que, depuis quelques semaines, il méditait
secrètement.
— Mes amis, leur dit-il, l’expérience de ces dix
dernières années montre à l’évidence que ce n’est pas par la force que nous
pourrons franchir les remparts de Troie. C’est donc la ruse qu’il faut employer,
en pénétrant dans la ville sans être vus.
— Tu as trouvé le moyen de te rendre invisible ? lui
demande ironiquement Diomède.
— Oui, répond Ulysse, et, à l’aide d’un exemple simple,
je vais t’expliquer comment. Tu vois cette grappe de raisin qui se trouve
devant toi, dans ton assiette ?
— Je la vois, répond Diomède.
— Eh bien, dans un instant, cette grappe de raisin
actuellement bien visible va entrer dans la baraque d’Agamemnon sans que
personne puisse la voir.
Ulysse ordonne alors à Diomède de manger les raisins un par
un et de se rendre dans la tente d’Agamemnon. Lorsqu’il en ressort, Ulysse
développe son plan :
— De même que les raisins sont devenus invisibles en
entrant dans le ventre de Diomède, de même des guerriers peuvent devenir
invisibles en se cachant dans le ventre d’un animal plus gros que Diomède. Et, puisque
la nature ne nous offre pas d’animal assez grand, nous en construirons un
nous-mêmes.
Les rois grecs approuvent le projet d’Ulysse dans son
principe, lui laissant le soin d’en préciser les détails. Charpentier de talent,
Ulysse construit avec ses soldats, en quelques heures, un immense cheval de
bois de plus de dix mètres de haut au garrot. L’intérieur du cheval est creux. Ulysse,
Ménélas et trente soldats grecs y prennent place. Pendant ce temps, suivant les
instructions d’Ulysse, Agamemnon et toute l’armée grecque, profitant de l’obscurité,
se rembarquent sur leurs vaisseaux et quittent les rivages de Troie pour aller
se cacher derrière une petite île, appelée Ténédos, à quelques milles de la
côte.
Le lendemain matin, au lever du soleil, les Troyens
constatent le départ de l’armée grecque. Us aperçoivent dans la plaine le
cheval monstrueux. Poussant des cris de joie, ils sortent en foule des remparts,
examinent l’animal avec curiosité et méfiance, ne sachant qu’en penser ni qu’en
faire. L’opinion la plus répandue est que les Grecs, en s’en allant, ont tenu à
laisser un cadeau aux Troyens. Mais un prêtre réputé de Troie, nommé Laocoon, les
met en garde :
— Pensez-vous que les dons des Grecs soient jamais
exempts d’artifice ? Ne connaissez-vous pas Ulysse et ses ruses ? Ne
croyez pas en ce cheval, Troyens ; pour ma part, je crains les Grecs, même
lorsqu’ils me font des cadeaux !
Cela dit, il lance son javelot dans le flanc
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