Les Dieux S'amusent
peut-être ton nouveau casque qui lui fait peur,
suggère Andromaque.
Hector retire son casque ; de fait, Astyanax reconnaît
alors son père et court se jeter dans ses bras. Hector lui sourit et l’embrasse
tendrement. Il se sent soudain pris d’angoisse à la pensée qu’il voit peut-être
son fils pour la dernière fois. Afin de ne pas se laisser gagner par l’émotion,
il abrège les adieux et va rejoindre ses soldats. Il sort avec eux des remparts
au moment même où, derrière Achille, l’armée grecque quitte son camp.
La bataille s’engage au milieu de la plaine, sur les rives
du fleuve Xanthe. Le combat est si acharné que les corps des guerriers morts, tombés
en grand nombre dans le fleuve, finissent par en obstruer le cours et par le
faire sortir de son lit. Or, vous vous en souvenez peut-être, un oracle avait
prédit qu’Hector serait vaincu le jour où le Xanthe sortirait de son lit. Les
Troyens, en tout cas, se souvenaient fort bien de cette prophétie. Aussi, lorsqu’ils
constatent qu’elle est en train de se réaliser, ils sont brusquement saisis d’épouvante
et s’enfuient comme des lapins vers les remparts protecteurs. Hector cherche en
vain à arrêter ou à ralentir leur fuite : il est contraint de les suivre. Quelques
instants plus tard, il se retrouve avec eux au pied des remparts, dont les
portes s’ouvrent pour eux. Hector va-t-il rentrer avec ses soldats et s’enfermer
dans la ville pour y soutenir un long siège ? Priam, Hécube, Cassandre et
Andromaque, qui observent la scène du haut des murs, supplient Hector de se
mettre à l’abri :
— Ne sois pas téméraire, lui crient-ils. Ne sais-tu pas
qu’Achille est invincible, et aujourd’hui plus que jamais, avec son casque où
resplendit un soleil d’or et sa cuirasse décorée d’un lion flamboyant ?
— Les armures ne me font pas peur, répond Hector ;
leurs soleils ne brûlent pas et leurs lions ne mordent pas.
Alors, le dernier soldat troyen étant rentré, les massives
portes de chêne sont fermées et verrouillées derrière lui ; Hector reste
seul, au pied des remparts, décidé à montrer son courage.
Mais, lorsque, se retournant, il voit accourir vers lui le
terrible Achille dans sa cuirasse étincelante, Hector, le vaillant Hector, est
pris, pour la première fois de sa vie, de panique. Perdant tout contrôle de
lui-même et toute dignité, il se met à fuir à toutes jambes. Et, comme il ne
peut plus rentrer dans la ville, il court en longeant les remparts, poursuivi
par Achille qui l’injurie et le provoque. Trois fois, les deux héros font ainsi
le tour complet des remparts et, à chaque tour, Achille aux pieds légers gagne
un peu de terrain. Hector se rend compte alors qu’il sera rattrapé
inéluctablement et qu’il vaut donc mieux engager le combat tout de suite, avant
d’être tout à fait épuisé. Il s’arrête et se retourne.
Achille n’est déjà plus qu’à dix mètres de lui. De son bras
puissant, Hector lance son premier javelot, qui vient se planter dans le ventre
d’Achille. Tout autre guerrier serait mort sur-le-champ d’une telle blessure. Mais
Achille, vous le savez, avait été rendu presque invulnérable par les eaux
sacrées du Styx dans lesquelles sa mère l’avait plongé à sa naissance. Il
poursuit donc sa charge, sans attacher plus d’importance au javelot d’Hector
que s’il s’agissait d’une piqûre de moustique. Il tient au poing sa lourde
lance de frêne, qu’il est seul à pouvoir manier. Il sait que la cuirasse d’Hector
(qu’il connaît bien puisque c’était la sienne) comporte un point faible à la
hauteur du plexus solaire. C’est ce point précis qu’il vise. Hector s’apprête à
tirer son épée, mais il n’en a pas le temps : Achille est déjà sur lui et,
d’un coup de lance terrible, transperce sa cuirasse et sa poitrine.
Hector sent qu’il est mortellement blessé et qu’il ne lui
reste que quelques instants à vivre. Il implore la pitié d’Achille :
— Je t’en supplie, lui dit-il, rends mon corps à mes
parents, afin que je reçoive une sépulture décente et que mon âme soit admise
aux Champs Élysées.
Mais Achille est sans pitié :
— Tu n’auras pas de sépulture, lui crie-t-il ; ton
corps sera dévoré par les chiens et les vautours.
Heureusement pour lui, Hector n’a pas entendu ces derniers
mots : il était déjà mort.
Sous les yeux horrifiés de Priam et des siens qui, du haut
des
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