Les Dieux S'amusent
personne d’Électre, une accusatrice muette mais farouche, et
ils craignaient en outre de voir apparaître un jour Oreste, décidé à venger son
père.
Oreste avait été bien accueilli par son oncle et s’était lié
d’une profonde amitié avec son cousin Pylade, du même âge que lui. Il ne
pouvait oublier la scène du meurtre de son père et songeait souvent à en tirer
vengeance. Cependant, il hésitait à porter la main sur sa mère. Lorsqu’il eut
dix-huit ans, il alla consulter l’oracle de Delphes, pour savoir ce qu’il
devait faire. La réponse de l’oracle, pour une fois, fut sans ambiguïté :
— Tue ces deux-là qui ont tué, rachète la mort par la
mort, et le sang par le sang.
Accompagné de Pylade, Oreste se met en route pour Mycènes. Ils
arrivent au palais de Clytemnestre à la nuit tombante. Oreste va se placer sous
la fenêtre de sa sœur Électre ; il l’appelle et se fait reconnaître d’elle.
Il lui dit ce qu’elle doit faire :
— Va trouver notre mère et dis-lui que deux voyageurs
sont à la porte du palais, chargés de lui annoncer la mort de son fils Oreste.
Clytemnestre accueille la nouvelle de la mort de son fils
avec des sentiments mélangés de soulagement et de chagrin maternel. Désireuse d’en
savoir davantage, elle ordonne qu’on fasse entrer dans sa chambre les deux
voyageurs. Ils entrent en dissimulant leur visage dans les plis de leur tunique.
Lorsque les serviteurs se sont retirés, Oreste se dévoile.
Son visage est farouche et sa main, un peu tremblante, serre
un poignard.
Clytemnestre reconnaît son fils et devine ses intentions. Elle
pourrait encore appeler ses gardes, mais elle s’en abstient. Dégrafant sa
tunique, elle découvre sa poitrine et, d’une voix émue, s’adresse à son fils :
— Voici le sein qui t’a nourri ; perce-le, si tu
en as le courage.
Oreste hésite un instant. Mais voici que la porte s’ouvre et
qu’Égisthe entre dans la chambre. En le voyant, Oreste ne pense plus qu’à
venger son père ; sans pitié, il égorge Égisthe et poignarde sa mère. Avant
de mourir, Clytemnestre a le temps de murmurer :
— Étrange chose que d’être mère ; en dépit du mal
qu’ils vous font, on ne peut haïr ses enfants.
Le jugement de l’Aréopage
Le crime d’Oreste provoqua, chez les hommes comme chez les
dieux, des mouvements divers : on l’approuvait d’avoir vengé son père, mais
on le blâmait d’avoir tué sa mère.
Chez Jupiter, c’est la réprobation qui l’emporta et il
décida de punir Oreste. Il confia cette mission à trois divinités spécialisées
dans ce genre de travail, qu’on appelait les « Furies vengeresses ». Ces
trois sœurs, que les Grecs se représentaient comme des femmes aux yeux injectés
de sang, à la bouche écumante et à la chevelure faite de serpents, se mettaient
aux trousses des criminels que Jupiter leur avait désignés, les accablaient de
remords et d’angoisse, ne leur laissant pas de répit jusqu’à ce qu’ils eussent
sombré dans la folie ou le suicide.
Poursuivi par les Furies vengeresses, Oreste prit à nouveau
le chemin de l’exil. Il erra longtemps, de pays en pays, sans pouvoir jamais
trouver le repos. Pris de pitié pour lui, Apollon obtint enfin de Jupiter qu’il
convoquât le tribunal des dieux et qu’il y fît comparaître Oreste en lui
donnant la possibilité de se défendre.
Ce tribunal était composé des douze grands dieux de l’Olympe ;
on l’appelait l’Aréopage, du nom de la colline d’Athènes sur laquelle il se
réunissait. L’un des membres du tribunal jouait le rôle d’accusateur public et
un autre faisait fonction d’avocat de la défense. Après le réquisitoire et la
plaidoirie, le tribunal passait au vote. Chacun de ses membres, y compris le
procureur et l’avocat, exprimait à tour de rôle son point de vue et déposait
dans une urne soit une boule noire, s’il était partisan de la condamnation, soit
une boule blanche, s’il était partisan de l’acquittement. On comptait les
boules et la décision était prise à la majorité simple.
Pour le procès d’Oreste, Pluton fut désigné comme accusateur
et Apollon comme avocat. Le réquisitoire fut bref :
— Il ne faudrait pas, par un jugement indulgent, bannir
toute crainte de la cité ; car quel mortel reste juste, s’il ne redoute
rien ? Quels que puissent être ses motifs, un homme n’a pas le droit d’assassiner
sa mère. Celui qui commet un tel crime
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