Les dîners de Calpurnia
tête sur la pierre. Polimus dit qu'il transmet sa douceur à ceux qui l'aiment. Tu nous raconteras plus tard si tu en as envie. A cette heure ton malheur t'appartient. La nuit sera longue à écouler ses étoiles mais, quand le jour percera, tu te souviendras que tu n'es pas seul, que ta grand-mére t'attend et qu'il faut la rejoindre. A deux, sans compter les amis, il est plus facile de retrouver la sérénité. Et puis, il y a le travail. Polimus m'a confié que tu es doué, courageux et opini‚tre. Le dernier cadeau que tu puisses encore faire à ton grand-pére, c'est de réussir...
- Tu es bonne, Fidelia. Je ne sais pas si c'est la fraîcheur du marbre sur ma tête en feu ou tes paroles, mais je me sens un peu mieux. Non, ce sont tes mots qui me font du bien !
- C'est que je suis assez vieille pour savoir ce qu'est le malheur. Et je sais que les mots, contrairement à ce que
prétendent les sots, peuvent aider à sortir des abîmes de la douleur.
- Oui, mais pas n'importe lesquels. Toi, tu sais les choisir, les assembler, leur donner du pouvoir...
Pline, qui gérait ses amitiés comme sa carriére sérieusement, n'allait pas laisser longtemps Petronius seul avec son désespoir. Un court voyage officiel à Ostie lui donna l'occasion, moins d'une semaine aprés la mort de Rabirius, de ramener son protégé à Rome.
Le visage du jeune homme s'éclaira quand Fidelia vint le prévenir, un aprés-midi, que \ecisium du préfet suffect, l'attendait à l'entrée.
Petronius courut troquer sa blouse de marbrier contre une tunique courte, toute simple, qui mettait en valeur ses formes musclées par le travail manuel. Il boucla son bagage o˘ seuls pesaient ses premiers outils, ceux que Polimus lui avait offerts, et fit ses adieux à l'atelier d'Ostie.
Fidelia essuya une larme, lui fit promettre de bien travailler et de donner de ses nouvelles, Polimus l'embrassa tandis que le cocher criait de se presser :
- Monte. Le maître nous attend à l'administration du port et nous devons arriver aux Laurentes pour la cena. Nous passerons une ou deux nuits à la campagne, ajouta-t-il lorsque Petronius fut installé.
- Je croyais que nous devions rentrer aujourd'hui à Rome?
- Non. Chaque fois qu'un voyage le conduit dans la région, Plinus Secundus ne manque pas d'aller voir si tout va bien dans sa propriété. " Ce sont, dit-il, les seuls instants que je vole à l'administration impériale. " En fait, ce n'est qu'un emprunt car il travaille la nuit, lorsqu'il est de retour, pour rattraper le temps perdu.
Une heure plus tard, le cisium roulait vers le refuge de Pline, là o˘ il aimait rédiger sa correspondance et écrire ses discours. C'était aussi la villa de rêve o˘ il avait jadis invité ses amis du Vélabre. Il repensait à
cette plaisante partie de campagne en regardant le jeune homme sérieux assis à ses côtés, qui s'excusait chaque fois qu'un cahot le 300
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projetait contre lui. " Tout a changé, songeait-il. Ce gamin que j'ai vu naître est devenu un homme. Le voilà orphelin, il commence à souffrir...
J'espére qu'il aura le cuir assez dur pour résister aux épreuves qu'imposé
le plus beau et le plus ingrat des métiers. Son grand-pére était trop tendre, lui me semble plus fort. " Tout de suite, il engagea la conversation :
- Dis-moi. Pourquoi veux-tu être sculpteur ? L'architecture ne te tentait pas ? qu'est-ce qui te pousse à rompre avec les traditions familiales ?
Petronius aurait pu parler des heures sur ce sujet qui emplissait ses pensées depuis si longtemps. Les leçons de Polimus lui revinrent. Il vanta en s'enflammant les mérites de la pierre, cita des noms de marbres connus des seuls professionnels comme le sarancolin, la griotte et la lamachelle, expliqua le plaisir ressenti lorsque, d'un coup justement calculé, la masse et le ciseau, prolongements dociles de ses mains, faisaient voler la languette de marbre souhaitée. Il s'animait, devenait lyrique et Pline, surpris, l'écoutait avec attention et curiosité.
- Sais-tu que tu deviens poéte quand tu parles de ton métier ? C'est l'apanage des artistes de savoir faire chanter des mots venus de trés loin dans le temps pour décrire les gestes, les formes et les couleurs. Il te faut noter dans la cire ou sur le papyrus tes impressions de débutant.
quand tu seras célébre, tu reliras avec plaisir les réflexions que t'inspire aujourd'hui ton passage à l'acte créatif. Imagine que nous puissions aujourd'hui savoir ce que
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