Les dîners de Calpurnia
pensait Phidias lorsqu'il a sculpté le fronton du Panthéon, que nous ayons conservé la trace de ses enthousiasmes et de ses doutes ! Mais nous arrivons à la maison. Nous aurons tout le temps ce soir, en regardant la mer bouger doucement sous la lune, de parler de sculpture. Ou de ce que tu voudras.
- Je voudrais que tu me parles de ma grand-mére dont je n'ai pas encore mesuré l'influence qu'elle paraît avoir eue sur vous, les grands esprits du siécle.
- Entendu. J'ai fréquenté le Vélabre assez longtemps pour te raconter durant des heures comment la connaissance a pu proliférer, comme une plante volubile, dans une maison romaine sans doute prédestinée.
A moins que le Vélabre n'ait d˚ son pouvoir à l'esprit supérieur de ses propriétaires. Sans Celer, puis sans Calpurnia, il n'aurait été qu'une villa comme les autres.
On arrivait. La voiture s'était arrêtée devant le portail grand ouvert et toute la maison, de l'intendant Veiento au dernier esclave acheté pour aider aux cuisines, en passant par Arriana la vieille nourrice de Pline qui finissait paisiblement sa vie en veillant à ce que toutes les chambres soient fleuries, était rangée de chaque côté du péristyle pour accueillir le maître. Celui-ci, comme toujours, était heureux de retrouver sa maison qu'il regrettait de ne pouvoir utiliser plus souvent.
- Ici, tu es chez toi, dit-il à Petronius. Te rappelles-tu ta visite, il y a déjà des années ! Tu étais un gamin un peu perdu au milieu des grandes personnes que j'ai, je crois, assommées en leur lisant mon panégyrique de Trajan. Aujourd'hui, tu es un homme et tu pourras, je l'espére, non pas oublier ton chagrin, mais t'habituer à vivre avec. Dis-toi que ta vie ne fait que commencer.
Petronius, enivré par les odeurs du jardin, les effluves venus de la mer et la beauté qui régnait partout dans cet éden, était prêt à mordre dans cette existence naissante qu'il voyait s'ouvrir sur de somptueux portiques abritant un peuple de statues. quand, aprés la cena, il se retrouva assis prés de Pline sur le banc de marbre, il se dit qu'il avait bien de la chance d'être protégé par un homme aussi savant, aussi fortuné, aussi intelligent. Curieusement, ce personnage célébre et puissant ne l'intimidait pas. Il lui inspirait confiance, c'est tout, et c'est simplement qu'il lui demanda :
- Pourquoi, cher Pline, dont je respecte le nom si attaché à Rome, t'intéresses-tu à moi qui n'ai encore rien fait et qui suis une si petite chose dans la foule des puissants que tu as l'habitude de fréquenter ?
- Ne crois pas que je suis bon au point de compatir aux 302
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malheurs et aux états d'‚me de tous les jeunes gens qui me demandent mon aide. D'abord, toi, tu ne m'as rien demandé. Ensuite je suis redevable d'une dette envers ta grand-mére dont l'amitié m'a souvent accompagné.
Enfin, tu me semblés fait d'une étoffe assez rare de nos jours. Tu ne vas pas au plus facile mais tu ne te lances pas non plus sans réfléchir dans l'inconnu. J'ai aimé la maniére dont tu m'as parlé du matériau dont tu b
‚tiras ta vie. Bref, tu me parais être un garçon de qualité et je prendrai plaisir et intérêt à te conseiller.
- Merci, mon illustre bienfaiteur. Je ferai tout pour ne jamais te décevoir.
- Bon. On va te chercher à Rome un bon sculpteur qui soit aussi un bon maître. Cela doit se trouver. Aprés, si tu as envie de connaître la Gréce, mére de tous les arts, tu pourras faire comme Néron et aller rencontrer l'‚me d'Athénes, la force tranquille de Phidias, la subtilité de Praxitéle.
Ce voyage en Gréce de César déclinant était plutôt sympathique, mais Néron, encore une fois, a g‚ché ses bonnes déterminations. Il a donné la liberté
aux Grecs pour les remercier de leur accueil mais il a emporté, comme un butin de guerre, leurs plus belles statues ! Jure-moi, si tu vas en Gréce, que tu laisseras le Panthéon sur l'Acropole !
Ils rirent en se regardant. Et Petronius regretta tout de suite la pensée qui lui venait à l'esprit : jamais il n'avait eu avec son grand-pére et encore moins avec son pére une conversation aussi confiante. Pline sentit peut-être ce regret refoulé et il changea de sujet :
- Si les dieux approuvent ton choix, tu seras donc un sculpteur. Mais dis-toi que l'art ou le métier ne sont pas tout. Il y a la vie de la cité, son gouvernement, sa politique. T'intéresses-tu à la politique ?
- Je sais qu'on en discutait au
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