Les dîners de Calpurnia
pas reconnu ! dit-elle. C'est bien que tu viennes reprendre la place du chef de famille. Car ta grand-mére, si elle semble admettre la mort de Rabirius et ne montre pas sa tristesse, laisse un peu aller les choses. C'est comme si le Vélabre ne l'intéressait plus.
- O˘ est-elle ?
- Dans le jardin, elle y passe ses journées. " Sous les arbres des disparus
", dit-elle. Elle n'a pas d˚ t'entendre. Va vite la retrouver, elle a besoin de toi.
Il chercha un instant Calpurnia parmi les buissons et l'aperçut qui cueillait des rosés en fredonnant un air qu'elle chantait, il s'en souvenait, lorsqu'elle était heureuse. Petronius s'arrêta net, surpris de retrouver sa grand-mére gaie et rayonnante, choqué aussi de la voir supporter si allégrement son veuvage. Rabirius, tout de même, n'était mort que depuis deux semaines !
Elle le vit en se haussant sur la pointe des pieds pour couper une fleur, poussa un cri de bonheur et se précipita dans ses bras. Elle riait et pleurait, prononçait des mots un peu fous et s'écartait par instants pour contempler l'enfant qu'elle reconnaissait mal dans cet homme qui lui rappelait Celer au temps de leur mariage et qui, elle le sentait, la jugeait.
- Viens, mon Petronius, finit-elle par dire. Viens t'asseoir sur ce banc de marbre qui est, plutôt que l'atrium ou le tablinum, le cúur de la maison.
C'est le banc des confidences et tu as tellement de choses à me raconter !
- Toi aussi, grand-mére. Je ne sais presque rien de la mort de Rabirius. Et il faut que tu me réapprennes cette maison que je ne reconnais pas. Comment vit-on maintenant au Vélabre ?
- Le Vélabre n'existe plus. Les murs sont toujours là
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mais rares sont ceux qui poussent le portail d'entrée. Le triclinium n'est plus qu'une piéce que l'on traverse pour aller au jardin. Le jardin, c'est le seul endroit resté vivant. Avec ce banc qui me rappelle à peu prés tous les événements de ma vie.
- C'est parce qu'il est en marbre ! Le marbre parle, le marbre se souvient, le marbre vit. Regarde : du sang coule dans les veines de cette belle taille de bréche !
Calpurnia, surprise par ce lyrisme auquel Petronius ne l'avait pas habituée, s'exclama :
- C'est chez Numerus Polimus que tu as appris à aimer le marbre ?
- Oui, c'est un homme merveilleux, un maître incomparable qui m'a accueilli comme un fils. Hélas, il n'a pu m'enseigner la sculpture. Car tu sais, ce qui n'était qu'un rêve d'adolescent lorsque je suis parti pour Ostie est devenu une certitude : je veux devenir sculpteur ! Pline à qui j'ai beaucoup parlé durant le voyage de retour m'engage à persévérer dans cette voie. Il a dit qu'il fallait me trouver un bon maître. qu'en penses-tu ?
- J'aurais préféré que la famille continue de b‚tir les beaux monuments de Rome, mais l'Empire a besoin aussi de statues et tu orienteras comme tu le voudras ta vie professionnelle. L'essentiel est qu'elle demeure vouée aux arts. C'était aussi l'avis de Rabirius...
- Tiens, tu penses enfin à ton mari ! J'avoue, grand-mére, que ton attitude me surprend. J'ai l'impression qu'il ne reste rien de celui qui a été mon vrai pére, que son souvenir ne luit nulle part dans cette maison et que tu l'as toi-même oublié. Heureusement, Pline est là pour me parler de lui !
- Tu peux compter sur lui, il adore glorifier les morts !
- Tu es dure. Il m'a beaucoup aidé...
- Oui, il ne faut pas l'oublier. quant à mon attitude, que tu sois offusqué, je le comprends; mais depuis toujours on m'a reconnu une qualité : celle de la sincérité et de la franchise. Aujourd'hui comme hier je suis incapable d'exprimer, par souci des convenances, des sentiments 308
que je ne ressens pas. J'ai toujours été loyale envers mon mari de son vivant. Lui m'a trahie. Je te raconterai un jour comment. Mais, alors qu'il a préféré quitter la vie, je ne vois pas ce qui m'obligerait à le pleurer ostensiblement. Sa mémoire sera respectée mais rien ne me contraindra à
cacher que sa mort me touche peu. Je ne fais pas état publiquement de ce sentiment intime mais ne peux empêcher qu'on le devine. Si on le juge choquant, tant pis ! Mais toi, me trouves-tu vraiment indigne ?
- Comment le pourrais-je ? Je te fais confiance mais j'aimerais qu'un jour tu me dises ce qui s'est passé entre vous.
- Je te le promets. Maintenant, tu n'as pas à partager mes sentiments. Je trouverais au contraire malheureux que cette mort ne t'afflige pas.
Rabirius a été un
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