Les dîners de Calpurnia
Petronius les enthousiasmes de sa jeunesse. Il jubilait en le regardant découvrir la magie du marbre et lui apprenait avec patience à manier la sciotte et le ciseau.
- Je n'ai pas la prétention de t'apprendre à sculpter mais je suis certain que pour devenir un bon sculpteur il faut connaître la matiére et la respecter. Sortant de chez Polimus, tu ne considéreras jamais le marbre comme un ennemi à vaincre, à dompter. Tu lui diras au contraire, avant de le travailler : " Tu es fier, ton grain est parfait, ta blancheur virginale. Nous allons faire ensemble une belle úuvre ! "
Au début, Petronius avait accompli sans se plaindre les travaux réservés traditionnellement à l'apprenti, c'est-à-dire les plus pénibles, les plus sales, les moins gratifiants. Puis Polimus l'avait relevé de la plupart des corvées :
- Maintenant, tu vas apprendre à travailler le marbre, à le couper, à le tailler. J'ai beaucoup d'ateliers romains parmi mes clients et tu vas être en relation avec les sculpteurs. quelques-uns ont du talent, beaucoup n'en ont pas. Ils se croient du génie parce qu'ils réussissent à copier, toujours à peu prés, pour la cinquantiéme fois, une statue de Polycléte ou de Praxitéle. La sculpture, telle que la pratiquent la majorité des façonniers romains, ce n'est pas de l'art. J'ai ma petite idée là-dessus mais nous en parlerons plus tard. A ta place, j'irais voir comment on travaille chez les Grecs. Nous leur avons malheureusement transmis nos mauvaises habitudes de copistes et de travail à la commande mais il reste tout de même à Gnide et à Delphes quelques vrais artistes. Leurs répliques de chefs-d'úuvre sont plus honorables que celles de nos médiocres copistes.
Réfléchis bien là-dessus. C'est important si tu ne veux pas devenir un vulgaire décorateur de parcs et de piscines.
296
- Mon maître, tu es sévére pour nos artistes mais je comprends. Je me rappelle, ma mére m'a raconté que lorsque Celer a d˚ garnir la centaine de niches de l'amphithé‚tre, il a fait faire les statues en série, le plus rapidement possible, sans se soucier de leur sujet ni de leur qualité.
Elles n'étaient là que pour rompre la sévérité du monument et on les voyait de trop loin pour distinguer quels personnages elles représentaient.
- Dans les jardins ou au forum on les voit trés bien mais personne ne fait de différence entre les chefs-d'úuvre authentiques, rapportés de Gréce dans les butins, et de p‚les copies locales.
- que tu parles bien de l'art et de la beauté !
- Oui, mais je n'ai, hélas ! jamais pu concrétiser mes belles théories !
J'ai été tenté plusieurs fois par la sculpture mais je n'ai aucun don.
Mieux vaut faire bien ce que l'on sait faire ! En réfléchissant, je crois que ce n'est pas une bonne idée de te conseiller de partir pour la Gréce.
Tu es trop jeune. Ce qu'il te faut, c'est trouver un bon maître à Rome. Il t'apprendra à travailler la glaise, à ébaucher, à dégrossir un bloc de pierre avant de t'attaquer au marbre. Il ne te donnera pas du talent si tu n'en as pas mais il te montrera comment te servir des outils, à gruger, à
fouiller, à dégager... Tiens, le seul fait de prononcer ces mots me donne envie de m'essayer une nouvelle fois à la sculpture. Je sais que je g
‚cherai un bloc de marbre mais si j'y trouve du plaisir...
Petronius décida de rester chez Polimus le temps qu'il faudrait pour distinguer le bon marbre à sculpter du pouffi qui se désagrége sous le ciseau ; pour frapper la pierre d'un coup sec en évitant l'irréparable dérapage ; pour que les gestes du métier qu'il avait choisi deviennent des automatismes au service de sa volonté et de son inspiration.
Les nouvelles qu'il recevait du Vélabre tous les mois ou tous les deux mois étaient bonnes mais plusieurs fois il avait cru discerner sous l'enjouement de Calpurnia des signes de lassitude et d'abattement. Elle parlait trés peu 297
du travail de Rabirius et cela l'inquiétait. En rentrant, comment allait-il trouver la maison, les parents, les amis ? Pour se rassurer, il avait eu l'audace d'écrire à Pline. Mieux que Juvénal toujours enclin à traiter légérement les choses sérieuses, le préfet, célébre pour sa correspondance dont il faisait un véritable genre littéraire, lui peindrait franchement l'atmosphére actuelle du Vélabre.
La réponse de Pline étonna Petronius par sa promptitude. Elle lui arriva par le courrier officiel du palais
Weitere Kostenlose Bücher