Les dîners de Calpurnia
l'esprit. Il mourut nostalgique de Rome et des amis abandonnés.
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belle, qui seras tellement fiére de ton sculpteur de petit-fils !
Certains soirs, Juvénal réussissait ainsi à ranimer la flamme vacillante.
Rabirius alors s'exaltait et racontait comment Celer domptait de la voix et du geste un millier de fourmis esclaves dans l'aréne tumultueuse de l'amphithé‚tre Flavien. Calpurnia retrouvait son rire un peu haut perché.
Juvénal donnait des nouvelles de Pline qui, malheureusement, trop pris par ses fonctions préfectorales, ne venait plus guére voir ses amis. quand parfois il débarquait, trés tard, avec sa Calpurnia, et qu'il fallait recommencer le service de table, c'était la joie pour quelques heures. Mais le silence de la nuit et le réveil sans horizon du lendemain n'en étaient que plus angoissants.
La politique, qui avait tenu si souvent la famille en haleine, ne venait même plus ajouter son sel au menu de la vie quotidienne. Les empereurs heureux n'ont pas d'histoires. Et Trajan, César parfait, chef militaire exemplaire, administrateur remarquable, ne suscitait que des louanges et laissait désúuvrés les oiseaux noirs du forum, propagateurs de rumeurs.
Les Romains, surpris, s'apercevaient que le panégyrique de Pline, qui avait fait sourire les sceptiques, n'était pas si éloigné de la vérité. Trajan s'était formé à l'armée une vraie mentalité de chef. Empereur, il continuait à payer de sa personne et à mener lui-même les guerres et la gestion de Rome. Ce que l'on se répétait aux thermes et au forum n'était pas des ragots de camps mais des témoignages qui prouvaient que César connaissait et aimait les soldats, qu'il s'interdisait en campagne tout luxe ostentatoire et partageait l'existence même de la troupe. Ne pouvait-il pas désigner par leur nom tous les gradés et les légionnaires qui avaient été blessés ou qui avaient accompli un acte de bravoure ? Ceux qui racontaient l'avoir vu marcher à pied dans les neiges de Dacie et les sables br˚lants de l'Orient étaient ses propres compagnons. Premier au péril, dernier au repos, personne ne mettait en doute qu'il e˚t traversé à
soixante ans
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l'Euphrate à la nage. Comment, aprés cela, n'aurait-il pas joui d'un prestige incomparable et d'une immense popularité parmi ses hommes ? quant au peuple romain, toutes classes confondues, il savait que l'Empereur pouvait tout demander à son armée et que celle-ci ne lui refuserait rien.
Il le suivit donc dans ses triomphes et applaudit lorsque le Sénat lui conféra le titre d'Optimus, le plus glorieux que quatre-vingts millions de sujets eussent jamais décerné à leur chef.
Il n'y avait qu'au Vélabre que le nom de Trajan n'était pas admiré : la blessure causée au pére était inguérissable.
Tandis que Calpurnia, affligée, prenait conscience qu'elle vieillissait, Petronius vivait sa jeunesse laborieuse mais joyeuse dans la poussiére dorée des marbreries d'Ostie. Son patron, vieux client de Sevurus et attaché à Rabirius, l'avait accueilli dans sa famille dont la maison était nichée, à deux pas du port, entre des montagnes de blocs et de plaques de marbre provenant de tous les points de l'Empire, partout o˘ la terre recelait la roche magique qui cachait sous sa gangue trompeuse des trésors de pureté, de douceur et d'harmonie.
Numerus Polimus, solide sexagénaire aux yeux bleu turquin, avait le beau sourire d'un homme satisfait de s'être livré toute sa vie au travail qu'il avait choisi. Orphelin d'un affranchi napolitain, il était arrivé tout jeune à Ostie à bord d'une galére liburnienne à dix rangs de rames venue de Syracuse, sur laquelle il exerçait les fonctions d'aide cuisinier. Attiré
par le mirage de Rome toute proche, il avait mis sac à terre et trouvé une place de polisseur dans une marbrerie du port, celle-là même o˘ il régnait depuis qu'il avait épousé jadis la fille du propriétaire. Il s'était tout de suite pris de passion pour le marbre, avait appris à distinguer une bréche d'un cipolin ou d'une brocatelle. Il avait go˚té au plaisir secret et raffiné de voyager d'îles en caps, de plaines en montagnes, suivant sur la carte du porphyre ou celle du tigré de Damas 295
les itinéraires fantasques des veinures. Il aimait encore, au soir d'une journée de travail, se pencher, rêveur, sur une plaque particuliérement jaspée et la caresser de sa main calleuse mais sensible.
Polimus retrouvait chez
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