Les dîners de Calpurnia
lui survit.
Aprés cela, c'est avec bonne conscience que nos invités boiront le vieux Salerne que nous leur servirons et dégusteront la poularde aux asperges dont ils auront senti l'odeur en arrivant.
- Mais tu es cynique ! Cette comédie me gêne !
- Parce que tu es encore à l'‚ge des révoltes. Tu as vécu jusqu'ici dans un univers protégé, tu n'as pas connu les périodes de guerre civile et les régnes successifs de Césars monstrueux. En vieillissant, tu verras que les Romains ont appris à composer avec la mort. Nous avons enterré ton grand-pére discrétement. Je n'ai voulu ni pleureuses, ni musique, ni chanteurs.
On dit que la mort est silence mais la plupart des Romains enterrent leurs morts en fanfare. Est-ce plus digne que de recevoir des amis ? Je ne crois vraiment pas que ceux-ci trouvent notre réunion scandaleuse. D'abord s'ils le pensaient, ils ne viendraient pas ! Et puisqu'ils viennent, je ne vois pas pourquoi on leur servirait un mauvais repas.
- Ta logique ne me satisfait pas. Ce dîner du Vélabre, le premier auquel j'assiste autrement que comme l'" enfant de la maison qui vient saluer les invités ", me laissera un go˚t amer.
- A moins que la qualité des propos que nous échangerons ne modifie ton opinion. Ton grand-pére s'est donné la mort, c'est tragique mais la vie continue. Et même, pour toi, elle commence !
Calpurnia avait raison. Aprés un hommage feutré et rapide au disparu, chacun retrouva l'humeur vagabonde qui méne à la gaieté. Calpurnia la Jeune avait accompagné son mari, et Pline, aprés la premiére libation, annonça que sa chére épouse allait le suivre dans sa
prochaine et sans doute derniére fonction administrative.
- O˘ ? s'enquirent ensemble plusieurs voix.
- Je vais prendre le gouvernement de la Bithynie1 et du Pont. En qualité de légat de Trajan, mon pouvoir proconsulaire doit, selon mes consignes, s'exercer à calmer une population turbulente et mettre fin à certains gaspillages. La routine, quoi ! Heureusement, Calpurnia sera à mes côtés.
La jeune femme sourit :
- J'ai tellement pris go˚t à la littérature et aux travaux de Pline que je ne peux pas le quitter plus d'une semaine. Et puis, les raisons ne manquent pas qui me font accompagner mon cher mari.
Juvénal, le misogyne, hasarda une plaisanterie sur la différence d'‚ge des époux mais il ne fut pas suivi. L'amour de Pline et de Calpurnia suscitait plus d'admiration que d'ironie.
Tacite, l'autre invité de marque, avait épousé en 77 la fille du sénateur Agricola qui, comme lui, était né en Gaule. Encore un mariage parfait qui avait traversé victorieusement l'époque de la tyrannie. Comme Calpurnia du Vélabre le questionnait sur son ouvrage, Vie d'Agri-cola, dédié à la mémoire de son beau-pére, il raconta comment, avant la chute de Domitien, il n'avait pas le cúur à écrire :
- Depuis, j'ai publié mon Dialogus de oratoribus et je travaille maintenant aux Historiée.. Aprés, j'aurai, je l'espére, encore le loisir de terminer les Annales, mon úuvre majeure.
Caius Suetonius arriva en retard. Il pria l'assemblée de l'excuser. Un fort mal de dents l'avait assailli dans l'aprés-midi et il éprouvait de la difficulté à parler. En effet, on l'entendit peu mais il suivit le conseil de Pline - qui le tenait de son oncle, le naturaliste - de boire beaucoup en
1. Ancienne région du nord-ouest de l'Asie Mineure. En 74 avant Jésus-Christ, elle devint province romaine.
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laissant le vin longtemps au contact de la gencive malade. Il s'endormit avant les desserts.
Vers la fin du repas, aprés que Juvénal eut distrait l'assemblée avec une parodie de tribun sur le Vélabre, " ce temple o˘ tant d'esprits devenus célébres étaient venus prier pour la liberté, sans complaisance pour ceux qui avaient avili l'Empire par leur tyrannie ", il enchaîna adroitement, comme Calpumia le lui avait soufflé, sur la transformation de la maison en atelier de sculpture et sur l'avenir prometteur du jeune homme qui devrait prendre un jour la succession de sa grand-mére.
Pline enchérit en vantant le courage et la qualité de Petronius. Celui-ci se tira fort bien de son apologie du marbre et de la sculpture romaine qu'il fallait sortir de la banalité o˘ elle s'enlisait. Il fut applaudi, on ouvrit une derniére amphore d'un cru du rocher de la Ligurie que Sevurus avait mis en cave trois décennies auparavant et chacun dit adieu au cher Pline qui devait se mettre en
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