Les dîners de Calpurnia
qu'elle avait choisie d'un lieu de priéres ? qu'avait-elle fait jusqu'à présent pour le christianisme et les chrétiens, ses fréres, sinon d'oublier sa foi lorsqu'elle devenait encombrante ? La curiosité aidant, elle se promit d'aller le lendemain, dés qu'il ferait jour, fouiller dans les archives de Celer qui remplissaient tout un coffre.
Elle avait souvent aidé son mari à classer et à ranger les rouleaux de papyrus et les tablettes d'esquisses, d'ébauches, de plans d'o˘ était sorti le plus grand monument romain et elle n'eut pas trop de peine à retrouver un vo/umen que Celer avait titré " Idées impériales ". Elle s'y plongea, reconnaissant au fil des lignes et des dessins les projets de Vespasien, pour la plupart réalisés, dont l'architecte lui avait parlé durant tant d'années. C'est ainsi qu'elle arriva au plan et au descriptif d'un ouvrage appelé " Tunnel secret ". La raison qui avait poussé l'Empereur à imaginer ce passage secret reliant les caves de l'amphithé‚tre à une sortie ménagée dans les fondations du tombeau de Caecilia Metella, sur la via Appia, n'était pas précisée. Il n'était pas fait mention, non plus, du nombre d'esclaves qui avaient certainement péri en creusant dans le tuf romain ce tunnel long de plus de deux kilométres. Une note indiquait à la fin : "
Commencé en l'an 829 de Rome, terminé un an ettrois mois plus tard. Issues murées sous Titus. "
Ainsi le passage existait-il bel et bien ! Le solitaire des bas-fonds avait vu juste et il était facile avec le plan de repérer l'endroit du mur o˘ il s'ouvrait, la sortie étant également indiquée sur la gauche de la grosse tour du tombeau édifié au temps d'Auguste. Le projet qu'elle considérait la veille comme un rêve fumeux, une entreprise dangereuse, enfiévrait soudain Calpurnia. Il ne lui fallut pas longtemps pour balayer ses appréhensions : elle s'ennuyait au Vélabre, et l'idée de tenter une aventure aussi inattendue lui rendit l'enthousiasme de sa jeunesse.
C'est ainsi que fut ouverte, trois mois plus tard, une 342
vaste salle vo˚tée o˘ les chrétiens purent célébrer leur culte en toute tranquillité.
L'ermite, que l'on appelait Colosseo, entretenait sous l'aréne une garde prétorienne composée de latrones tirés de la rue, de gladiateurs soustraits à l'emprise d'un lanista1, de condamnés arrachés aux griffes des tigres.
Tous étaient convertis et, comme le maître auquel ils étaient dévoués jusqu'à la mort, ils ne se montraient jamais en ville. Ce fut facile pour eux de déceler les issues du tunnel et de prévoir leur fermeture immédiate en cas de danger, les blocs de travertin s'ouvrant et se refermant, de maniére invisible, aussi aisément que des portes. A la moindre alerte, les fidéles pouvaient se réfugier dans le tunnel. Encore aurait-il fallu que les cohortes de police osent pénétrer dans les entrailles de l'amphithé
‚tre, tant le mythique géant, ses gardes du corps et ses fauves étaient craints, même par les soldats.
Cet événement fantastique, dont elle gardait le secret, changea la vie de Calpurnia qui avait retrouvé la sérénité. Trois fois par semaine elle rejoignait la via Appia et s'engouffrait sous terre pour rejoindre la cinquantaine de fidéles liés par serment au secret et prier avec eux.
Rome était désormais le centre de la chrétienté. Le successeur de Pierre était alors Alexandre, promu pére de l'Eglise à la mort d'Evariste. Il venait parfois présider la célébration du culte. Sa présence sous l'amphithé‚tre était source de joie. Il s'entretenait d'abord avec Colosseo auquel il semblait vouer de l'admiration, puis s'adressait aux adorateurs de Jésus présents, faisant toujours allusion, pour commencer, au martyre d'Ignace, subi " au-dessus de nos têtes, dans cet amphithé‚tre o˘ les traces de son sang ne sécheront jamais ". Il ne manquait jamais non plus de rappeler l'admirable expression de l'évêque d'Antioche dans une lettre écrite au cours du voyage vers Rome, évoquant le supplice : " moulu sous la dent des
1. Maître de gladiateurs ; directeur de combat.
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lions, pour y devenir le froment de Dieu ". Calpurnia avait demandé à
Colosseo, maintenant confident et ami, s'il était là le jour du martyre d'Ignace. Le géant avait essuyé une larme et répondu :
- Je lui ai proposé de le cacher à un endroit o˘ personne n'aurait pu le découvrir mais il a refusé en disant : " Le Christ ne s'est pas
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