Les dîners de Calpurnia
préférait les vieilles recettes qui avaient fait leurs preuves depuis les guerres puniques et assura poliment que les mets que l'on venait de servir étaient les meilleurs qu'il e˚t mangés depuis longtemps.
A part ces comparaisons subtiles de gastronome exigeant, la soirée fut agréable. L'air était doux, les quatre convives jeunes et beaux, plutôt intelligents. Tout naturellement, la conversation prit un tout autre tour qu'au Vélabre, abordant des sujets que Tacite ou Pline eussent trouvés d'un intérêt dérisoire. Aprés avoir discuté des vertus de la nouvelle génération, on s'amusa follement à définir le caractére de chacun. Tullia fut ainsi cataloguée " bourgeoise sans ‚ge ", Rufa " frivole poseuse ", Lucinus " pauvre riche " et Petronius " homme de marbre ".
Il commençait à se faire tard et un Maure vint prévenir que la litiére de la noble Rufa Aurelius était arrivée. Petronius, surpris, questionna Lucinus d'un regard et celui-ci répondit, amusé :
- Cela te surprend ? Tu ne savais pas que notre Rufa était la fille du sénateur Aurelius ? Je pense qu'elle ne
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voudra pas te laisser errer seul dans la nuit romaine et qu'elle te raccompagnera au Vélabre.
- Naturellement, dit la jeune fille qui ajouta dans un charmant sourire : Tu n'as rien à craindre. Si tu ne l'avais pas deviné, nous nous aimons beaucoup, Tullia et moi !
Petronius bredouilla un remerciement embarrassé.
- Tu ne t'es pas trop ennuyé avec ces filles qui savent être à la fois délicieuses et impossibles ? demanda Luci-nus qui avait pris sa main alors qu'ils se dirigeaient, entre deux files de lanternes, vers le portail.
- Pas du tout. Cela a été un bonheur de dîner en compagnie d'amis de mon
‚ge, de ne pas être obligé de faire attention chaque fois que j'ouvrais la bouche et de ne pas écouter inlassablement philosopher.
- Tu n'es pas tombé amoureux de ma súiar, par hasard ?
- Non, bien qu'elle soit agréable et séduisante.
- Plutôt de Rufa, je l'ai remarqué ! Mais fais attention : elle est un peu folle. Tu vois, toutes les deux ne se remettent pas d'être nées sur une montagne d'or.
- Et toi ?
- Je n'en sais rien. Tu es le seul qui me connaisses assez pour dire si j'assume sans angoisse ma condition d'enfant de nouveaux riches.
- Je trouve que oui. Tu semblés pourtant fuir l'argent. On dirait qu'il te fait peur !
- Ce qui me fait peur, c'est de devoir un jour succéder à mon pére dans son négoce de bonheur par les plantes.
- Mais ce n'est pas honteux ! La plupart des médecines sont extraites des plantes !
- C'est ce que je me dis, mais je ne peux pas m'empêcher de trouver qu'il est immoral de vendre trés cher aux pauvres gens des herbes ramassées dans les champs par des esclaves. Pourtant, tu vois, de cela je m'accommoderais.
Ma vraie crainte c'est de ressembler à mon pére lorsque j'aurai son ‚ge.
J'ai honte de le voir s'évertuer à faire oublier par son argent la modeste condition de sa famille.
- qu'il accéde à une fonction honorifique, et pourquoi pas au rang équestre, et toi, son fils, tu ne seras pas un pauvre devenu riche mais un noble naturellement fortuné. Non, je ne te plains pas !
Calpurnia, esseulée, avait repris contact avec les chrétiens. Ceux-ci étaient prudents et vivaient à peu prés en paix sous Trajan qui n'avait pas besoin de les persécuter pour asseoir son autorité. La prescription générale édictée contre les adorateurs du Christ subsistait mais les magistrats investis du droit de glaive pouvaient, selon les circonstances locales, condamner les fidéles ou les laisser vivre en paix. Il fallait, pour trouver à Rome un cas de martyre, revenir à la condamnation de l'évêque d'Antio-che plusieurs années auparavant. Celui qui deviendra saint Ignace avait été arrêté dans sa ville, foyer d'agitation chrétienne beaucoup plus important que celui de Rome, et envoyé dans la capitale pour y souffrir le martyre. Son voyage1 nous renseigne sur la situation alors paradoxale des chrétiens. Dans les villes asiatiques traversées par le condamné et son escorte, évêques, prêtres et fidéles du lieu ou députés par leur église étaient venus publiquement lui rendre hommage, sans crainte d'être poursuivis. Seuls Zosime et Rufus, deux chrétiens arrêtés en même temps que lui à Antioche, avaient partagé son sort.
Aux réunions sinistres des catacombes, qui lui rappelaient de mauvais souvenirs, Calpurnia préférait celles qui
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