Les dîners de Calpurnia
se tenaient secrétement dans le sous-sol de l'amphithé‚tre Flavien, là o˘ étaient conduits les condamnés de droit commun avant d'être massacrés et les bêtes choisies pour être l‚chées dans l'aréne les jours de ludi. C'est aussi dans les coulisses de l'aréne que se trouvaient les vestiaires et les salles de repos des gladiateurs.
Calpurnia avait appris l'existence de ce lieu dans des circonstances bizarres.
1. Raconté par lui dans ses écrits et sa correspondance.
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Le gardien qui régnait nuit et jour sur cet étrange univers était un géant capable, disait-on, de dompter les fauves les plus agressifs et d'imposer l'ordre aux gladiateurs ivres ou trop impatients d'en découdre. Un jour, cet homme à la force monstrueuse et au visage curieusement poupin, que personne ne connaissait en ville car il ne sortait pratiquement pas de son antre, que les maîtres du Palatin et du Sénat ignoraient parce qu'ils ne se hasardaient jamais dans le souterrain de l'amphithé‚tre, s'était présenté
au Vélabre à la tombée de la nuit et avait demandé à rencontrer Calpurnia.
Celle-ci avait esquissé un geste de recul devant le colosse mais avait vite été rassurée par le ton de sa voix, douce et claire comme celle d'un enfant :
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- Ne crains rien, ma súur. Je connais tes angoisses depuis que tu as été
dénoncée avec ta fille. Je sais donc que tu as été touchée, comme moi, par la gr‚ce de Jésus. Mais il faut d'abord te dire qui je suis. Mon rôle n'est pas ordinaire : je garde la petite ville que ton mari Celer a construite sous le sable de l'aréne. En fait j'en suis le maître. Mon monde est celui des brutes et des bêtes fauves. Seule la foi m'empêche de préférer ces derniéres. Ne me demande pas les raisons pour lesquelles j'exerce cette singuliére et lugubre activité, je ne pourrais pas te répondre.
- J'avoue ma surprise, dit Calpurnia. Je suis en effet chrétienne et ressens en ce moment un profond appel religieux. Mais que puis-je faire pour toi ?
- C'est simple. Tu connais comme moi les difficultés que nous rencontrons pour nous réunir. Les maisons particuliéres de nos fréres sont trop petites pour accueillir ceux qui, de plus en plus nombreux, nous rejoignent. Les catacombes elles-mêmes sont insuffisantes et peu s˚res. Alors, j'ai pensé
que nous pourrions utiliser le souterrain de l'amphithé‚tre pour nous réunir.
- Mais les groupes de chrétiens qui se presseront devant les portes normalement closes seront tout de suite
remarqués et une cohorte viendra sur-le-champ les arrêter !
- C'est pourquoi il ne faut pas entrer par les portes.
- Alors ?
- Je connais mon antre dans ses moindres recoins. En sondant les murs, je me suis rendu compte qu'il devait exister un tunnel, demeuré je ne sais pourquoi secret, qui menait à l'extérieur. Malheureusement je n'ai pu en découvrir l'entrée qui, murée, se confond avec la muraille. Je suis venu te demander si Celer avait un jour parlé devant toi de ce souterrain.
- Non. S'il existe, j'en retrouverai peut-être le plan dans les archives.
Mais je ne peux m'empêcher de penser que c'est une drôle d'idée de vouloir réunir les chrétiens sous le sable qu'ils rougiront peut-être un jour de leur sang !
- J'en conviens, maîtresse, mais les catacombes ne sont pas non plus un lieu de rencontre banal. Si tu veux m'aider, nos fréres et nos súurs pourront se réunir et prier en paix. Ils ne risqueront rien dans mon royaume souterrain. Mais surtout, même si tu ne donnes pas suite à ma requête, ne parle à personne de ma visite et ignore que j'existe.
Le géant à tête d'enfant se couvrit le visage d'une sorte de filet de chanvre qui dissimulait ses traits et partit sans ajouter un mot.
Calpurnia, abasourdie, s'assit sur le banc de l'atrium. " Décidément, pensa-t-elle, l'amphithé‚tre me colle à la peau. Il sera dit que ma vie aura été cernée jusqu'au bout par ce colosse de pierres. "
Sagement, elle décida de ne pas donner suite à la demande de son surprenant visiteur. Rome était pleine de personnages curieux venus de toutes les régions de l'Empire. L'ermite de l'amphithé‚tre - tiens, elle ne lui avait même pas demandé son nom - devait être l'un de ces illuminés vivant d'aumônes et de chiméres. Puis, réfléchissant, elle convint que son comportement, si déconcertant qu'il par˚t, n'était pas celui d'un fou. S'il 340
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disait vrai, avait-elle le droit de priver la religion
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