Les dîners de Calpurnia
choisi le bon marbre. Par la même occasion, je vous ferai visiter le chantier du forum qui portera le nom de Trajan. Même la construction de l'amphithé‚tre Flavien n'a pas d˚ contraindre à remuer autant de matériaux. Songez, mes amis, que j'ai déplacé prés de huit cent mille métres cubes de terre ! Pour contenir tout ce qui est prévu, la place monumentale, les boutiques, les tavernes, la basilique Ulpia, l'arc de triomphe de l'entrée, la statue de l'Empereur, il a fallu creuser une formidable encoche de trente-six méjres dans la hauteur qui relie le Capitale au quirinal ! Personne encore n'a vu aussi grand !
Il s'enflammait en parlant et regardait Petronius qui serrait les poings. A tort ou à raison, le garçon prenait cette attitude immodeste pour une provocation. Ne semblait-il pas dire : " Ce n'est pas Rabirius qui aurait pu réaliser une telle úuvre ! "
Petronius faillit éclater, lui crier que c'était un travail volé à son grand-pére qui, sans lui, ne se serait pas donné la mort. Pourtant, tout en se maîtrisant, il revoyait les premiers plans, les premiéres esquisses du forum tracés par Rabirius et convenait honnêtement que son projet était banal à côté de celui du Syrien. Et puis, Apollodore, avec sa faconde, sa prétention, son arrogance assez
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méprisables, mais aussi son génie, l'aidait à suivre sa vocation. Il se tut afin de pouvoir toucher de l'outil les derniers reliefs de la colonne !
Deux jours plus tard, il était sur le chantier du forum avec Assandre. Une cavalerie de haut trait sillonnait la place, tirant des chariots remplis de pierres, transportant des blocs de marbre et des piéces de bois. A l'extrémité de cette immense terrasse gagnée sur la montagne, la colonne, qui n'avait encore grandi que de vingt métres, ressemblait à un immense rouleau de papyrus, un volu-men de pierre aux illustrations colorées1.
Au sol, des hommes groupés écrivaient l'histoire au ciseau, la sculptaient, la peignaient. Plus tard, une grue gigantesque empruntée à la base navale d'Ostie hisserait chaque élément pour ajouter un nouveau chapitre au panégyrique de Marcus Ulpius Trajanus.
C'était impressionnant. L'éléve et le maître se dirigérent vers un attroupement au milieu duquel Apollodore faisait virevolter sa toge en discourant. Dés qu'il les aperçut, il vint vers eux :
- Votre visite nous honore. Voilà comment nous montons la colonne : chaque tambour, il y en aura dix-sept, est travaillé au sol. Il ne s'ajoutera aux autres qu'une fois terminé, y compris la peinture. Ce creux que vous voyez au centre de chaque portion de colonne est une partie de l'escalier intérieur éclairé par quarante-cinq meurtriéres qui seront invisibles de l'extérieur. Mais venez voir les sculpteurs travailler. C'est surtout ce qui vous intéresse, n'est-ce pas ?
L'architecte était fier de montrer à son vieux maître l'úuvre qu'il avait conçue :
- Chacune des vingt-quatre spirales comporte quatre ou cinq scénes relatant, comme vous le savez, un chapitre de la conquête de la Dacie, de la traversée du Danube, que vous voyez au bas de la colonne jusqu'à la déportation de
1. Comme tous les monuments de l'Antiquité, ceux élevés par les Romains étaient peints de couleurs vives. Il nous est difficile aujourd'hui d'imaginer le forum éclatant de couleurs.
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la population dacique qui clôt la guerre et qui se trouvera tout en haut, dans la derniére spirale. Celle à laquelle tu travailleras ! ajouta-t-il en s'adressant à Petronius. Regarde bien comment le marbre est taillé en surface, comme un camée.
- Trés bien ! dit le vieil Assandre. Ce procédé donne de la richesse et de la délicatesse !
Petronius profita de ce que le maître et l'architecte devisaient sur l'expression des visages représentés pour s'approcher de la partie de la colonne déjà érigée.
- C'est magnifique, murmura-t-il en caressant les formes de marbre qui s'imbriquaient pour former des tableaux parlant aux yeux, racontant l'histoire de ce génie conquérant qui, dans le temps o˘ Rome b‚tissait pour sa gloire, était reparti en Mésopotamie pour parfaire une victoire que les Bédouins pillards d'Assur et de Ninive osaient remettre en question.
Ainsi allait la vie dans Rome privée une nouvelle fois de son empereur.
Depuis sa désignation. César avait déjà passé huit années à la guerre mais ses qualités d'administrateur, son adresse à choisir ses seconds, sa puissance de
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