Les dîners de Calpurnia
avec de l'huile d'olive, du cumin, du citron, du miel et naturellement du garum.
Les jeunes firent honneur à ce menu, puisérent largement dans l'amphore de vin de Chios et parlérent beaucoup, de tout et de rien, avant que Lucinus ne lance dans
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la conversation, maladroitement d'ailleurs, le mot de mariage. Tullia éclata aussitôt en sanglots :
- Je hais cet homme qu'on va me faire épouser ! C'est monstrueux. Lui veut mon argent, mon cher pére ne pense qu'à réaliser son rêve : entrer dans la famille d'un chevalier. Moi, je suis une tête de bétail que l'on vend à la foire ! Mon chéri, console-moi !
Elle se jeta dans les bras de Petronius qui partageait le même triclinium, et le mit dans une situation ridicule. Surpris, il ne savait que faire de cette belle enfant qui se serrait contre lui. Il prit sa tête sur son épaule et essaya de l'apaiser en lui caressant doucement les cheveux. De temps en temps, il lançait un regard vers Lucinus qui, stupéfait, ne disait rien. Finalement c'est Rufa qui s'adressa séchement à Tullia :
- Arrête de faire l'enfant et laisse Petronius tranquille ! Ce n'est pas lui qui peut empêcher ton mariage !
- qui, alors ?
- Personne, hélas ! Je suis logée à la même enseigne et je ne pleurniche pas ! Si tu te voyais ! Le fard de tes yeux fond jusqu'à tes lévres !
Tullia, calmée, se redressa et demanda à Petronius o˘ elle pouvait se laver le visage.
- Viens, dit-il, je vais te montrer le chemin.
Elle le suivit à travers le tablinum et le péristyle jusqu'à la salle de bains. C'était Celer qui l'avait construite, en marbre de Paros. Elle donnait sur le jardin d'o˘ montait une odeur d'automne un peu fade. Dans une cuvette d'argent niellé il versa de l'eau fraîche et y ajouta un parfum.
- Il sent bon, affirma-t-il pour dire quelque chose. C'est Calpurnia qui le prépare avec les pétales des rosés du jardin.
- Pardonne-moi, dit-elle. J'ai été sotte, mais j'étais brusquement si malheureuse que je me suis réfugiée prés de toi comme si tu étais le seul à
pouvoir m'aider.
Il hésita un instant. Allait-il la prendre dans ses bras et 351
la serrer contre lui ? L'image de Rufa lui apparut alors, belle, délicate, secréte. Il s'écarta et dit :
- Je te laisse. Tu as tout ce qu'il faut sur la table de marbre pour sécher tes larmes et retrouver ton teint de fleur. Les serviettes sont là.
Tout cela sonnait un peu faux. Il savait qu'il aurait pu lui rendre sourire et bonheur mais il ne l'avait pas fait. Il revint en se pressant vers la salle à manger o˘ Lucinus et Rufa grignotaient des amandes en silence.
- Comment va-t-elle ? demanda la jeune fille.
- Bien, je crois, mais tu devrais aller la voir. Elle a besoin de tendresse.
- Tu ne lui en as pas donné ? questionna Lucinus d'un ton légérement sarcastique.
Petronius ne répondit pas. Tandis que Rufa rejoignait son amie, il relança la conversation sur la politique :
- Alors, le sénateur a-t-il des nouvelles de notre César ? J'ai entendu dire ce matin dans l'atelier d'Assandre que Trajan était sur le chemin du retour. Il regagnerait Rome pour les cérémonies rituelles du triomphe et rendre compte au Sénat des grandes heures de sa victoire ?
- Oui, Rufa sait des choses. Mais je lui laisse le soin de te les apprendre.
Justement les deux jeunes filles revenaient, étroite-ment enlacées. Tullia esquissait un pauvre sourire. Rufa, elle, gardait les traits immobiles d'une vestale se rendant au culte. L'emportement de Tullia l'avait choquée mais elle n'en montrait rien. Elle ne se détendit qu'en arrivant dans l'atrium-o˘ les garçons s'étaient déplacés. Elle prit place prés de Petronius.
- Tullia t'a accaparé tout le dîner, dit-elle. A moi de t'avoir prés de moi car j'ai des nouvelles à t'apprendre puisque tu t'intéresses aux faits et gestes de notre Opti-mus.
- On m'a dit qu'il voguait vers l'Italie pour le triomphe que Rome lui prépare.
- C'est vrai à moitié. Trajan a quitté Antioche, mais la cérémonie aura-t-elle lieu ? Mon pére a eu en main un
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rapport d'Attianus, le préfet du prétoire, qui a embarqué avec l'Empereur.
Celui-ci est gravement malade.
- Et Hadrien ?
- Il reste là-bas. L'Empereur lui a confié le commandement des armées d'Orient.
- L'a-t-il aussi désigné comme successeur ?
- La lettre d'Attianus dit que non et c'est grave. Si l'Empereur venait à
mourir, Hadrien devrait déclencher une guerre civile pour disputer un pouvoir que le
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