Les dîners de Calpurnia
Avec toutes ces femmes qui entrent dans notre jeu, que restera-t-il de notre affection ?
- L'affection, justement, mon cher. L'estime, aussi. Et notre divine complicité. Mais qu'entends-tu par " toutes ces femmes " ? Est-ce que toi aussi...
- Oui, une femme mariée. Je t'en parlerai un autre iour. Les filles ont assez admiré tes úuvres et il est tard ! Le sénateur doit guetter le retour de sa fille. S'il savait...
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Initiation
Tandis que Rufa, Lucinus et sa súur se laissaient porter dans la tiédeur de Rome en commentant la soirée, alors que Petronius, déjà couché, cherchait un sommeil incertain, le sort de l'Empire se jouait à bord d'un navire ballotté dans les eaux lourdes du golfe Persique.
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Dans une cabine bien gardée, le maître du monde I romain semblait dormir.
Sa niéce Matidie lui tenait la main, de l'autre côté du lit Plotine regardait avec tendresse son mari qui parfois ouvrait une paupiére, parfois émettait un borborygme dont on ne pouvait deviner la signification. Les deux femmes sentaient que César voulait parler mais, malgré ses efforts, il n'y parvenait pas.
A la portév sentinelle dévouée, veillait Phaedimos, détenteur de beaucoup de secrets, le seul peut-être qui connaissait le choix de l'Empereur.
Personne ne savait qu'il portait, caché sur lui, le testament de Trajan qu'il avait juré de remettre à la Grande Vestale, et à elle seule, aprés la mort de César. C'était, il en avait conscience, une écrasante et dangereuse mission. que deviendrait-il en j effet lorsque son protecteur aurait disparu et que les intérêts dynastiques éclateraient ? La confiance absolue que lui avait accordée Trajan avait suscité de la jalousie, J souvent même de la haine, dans l'entourage impérial. Du vivant de son maître on était bien obligé de le ménager mais, celui-ci parti rejoindre les dieux, sa peau d'affranchi ne vaudrait pas cher. Et puis il y avait cette enveloppe cachetée du sceau impérial qui lui br˚lait la poitrine. De son contenu dépendait le destin de Rome et il se sentait bien fragile devant une telle responsabilité. Plusieurs fois depuis l'embarquement, Trajan avait cherché
à s'exprimer, à lui dire quelque chose d'important. Il s'agissait, il en était certain, de modifier le testament, de lui ajouter un codicille, mais jamais ses forces ne lui avaient permis de se faire entendre clairement.
C'était donc le testament qu'il portait, cousu dans sa tunique, vieux de plusieurs mois, qui déciderait de l'avenir d'Hadrien.
Celui-ci était demeuré à Antioche avec l'armée d'Orient mais il avait à
bord des partisans prêts, le cas échéant, à transgresser les derniéres volontés de César ou à en changer le sens afin de donner l'Empire à
Hadrien. Plotine, Matidie et le préfet du prétoire Attianus étaient au cúur de la conspiration familiale. Leurs efforts pour persuader Trajan de se prononcer étant restés vains. Le but qu'ils s'étaient assigné n'était pas de bafouer la mémoire de celui qu'ils vénéraient mais d'agir pour l'avenir de Rome en assurant pacifiquement, avec Hadrien, la continuité du pouvoir.
Phaedimos pensait à tout cela en écoutant, à travers la porte, tousser et r
‚ler son malheureux maître. Ce matin même, il avait été tenté de confier son secret à Matidie qui lui avait souvent témoigné de l'amitié. Peut-être préviendrait-il ainsi d'imprévisibles malheurs, comme ceux qui avaient marqué tant de successions impériales. Mais pouvait-il rompre son serment ?
Il l'avait juré : si l'Empereur ne lui donnait pas d'autre ordre avant de rendre l'‚me, rien, sauf la mort, ne l'empêcherait de remettre à la Grande Vestale les derniéres volontés de son maître.
Lui seul, avec les femmes, Attianus et le médecin Cri-ton, avait le droit de pénétrer dans la cabine. Il entra pour prendre des nouvelles du malade.
- L'Empereur va mal, dit Matidie. Il délire, se voit encore à Herta assiégeant la ville puis contraint de repas-356
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ser l'Euphrate. Il crie qu'il reviendra et que cette fois il aura raison du soulévement des Parthes. Il ne semble pas se souvenir de l'accés de fiévre dont il a été victime sous le soleil torride lorsqu'il a tenu, malgré
toutes nos mises en garde, à faire route à cheval. Les rares paroles que nous réussissons à comprendre ont trait à l'échec d'Herta, le seul de sa longue carriére militaire. Phaedimos hasarda une question :
- Crois-tu, Plotine, qu'il aura
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