Les dîners de Calpurnia
Maintenant il faut que je rentre, il y a ce soir une réception en l'honneur du roi de Thessalie à
laquelle je ne peux pas me dérober. J'espére que nous nous reverrons, Petronius. J'aurai plaisir à parler avec toi de ton art. Tu viens, Rufa ?
Je te raméne à la maison.
La proposition, qui était presque un ordre, ne l'enchanta pas, mais ce n'était pas le moment de déplaire au sénateur et Rufa suivit son pére aprés avoir lancé un regard contraint à Petronius. Celui-ci, la tête en feu, s'allongea sur les coussins de l'atrium et ferma les yeux. Les événements le dépassaient, il se dit qu'il ne fallait pas essayer de les rattraper.
Comme si cela e˚t été possible ! " Et si mon destin se jouait dans l'‚me meurtrie d'une statue ? " se demanda-t-il.
C'est le lendemain, au palais, qu'Hadrien découvrit la statue. Milvius Aurelius avait finalement pensé que la présence de Petronius ne pouvait que servir ses desseins. Tous deux attendaient l'Empereur dans une piéce attenante aux appartements royaux o˘ ils avaient fait placer le buste sur un socle. Lorsque César parut, ils s'effacérent 434
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pour le laisser approcher de la sculpture idéalement éclairée par le soleil voilé du matin.
Hadrien ne dit pas un mot. Il demanda seulement un siége et s'installa face au portrait de marbre, les yeux fixés sur ceux de l'être qu'il avait tant aimé. Il fit un signe au sénateur et celui-ci entraîna Petronius hors de la piéce :
- Laissons César seul avec sa douleur. Je le connais : il souffre devant ce morceau de marbre mais ne peut s'en détacher.
- Ne va-t-il pas m'en vouloir de l'obliger à se souvenir...
- S˚rement pas. Attendons ici qu'il sorte du rêve qui le déchire mais lui rappelle aussi les plus belles années de sa vie.
Hadrien reparut au bout d'une dizaine de minutes. On voyait qu'il avait pleuré mais il était presque serein.
- C'est toi qui as sculpté ce buste ? demanda-t-il à Petronius.
Impressionné, le sculpteur bredouilla une réponse inaudible, et Milvius Aurelius vint à son secours :
- Ce jeune homme que j'ai connu par ma fille Rufa me semble posséder un grand talent. Il m'a chargé de vous dire que si le portrait d'Antinous vous paraissait digne de figurer dans vos collections, il vous en ferait l'hommage. Ce serait pour lui la plus belle des récompenses.
- Ce buste, vous l'avez remarqué, me bouleverse. Je voulais l'acquérir mais si son auteur veut m'en faire cadeau, je l'accepte. Je suis content que cette úuvre, qui va me devenir familiére car je veux la garder constamment prés de moi, ne soit pas l'objet d'une transaction financiére. L'argent n'a jamais compté pour Antinous et il est bien qu'il continue de lui demeurer étranger.
- Merci, glorieux César, dit Petronius d'un ton qu'il voulait assuré. Je suis comblé par ta grande bonté.
- Tant mieux, mais tu dois plus ta-satisfaction à ton talent et à mon jugement artistique qu'à ma bonté. Maintenant, César est ton obligé. En attendant, acceptes-tu de m'aider à choisir les statues qui doivent orner la ville d'Antino˘polis sur le Nil ? Je souhaiterais aussi que tu me conseilles pour commander les sculptures qui manquent encore au décor de ma villa de Tibur. J'ai fait creuser un canal qui reconstitue celui de Canope, en Egypte. En bordure, quatre Cariatides et deux Silénes supportent une pergola que j'ai moi-même dessinée en alternant les architraves et les arcs. Je pense faire copier les sculptures de l'Erechthéion d'Athénes, veux-tu diriger le travail ? Tu serais une sorte de procurator des statues impériales. Je vais arranger cela avec Milvius Aurelius et l'avocat Favorinus.
- J'ai autre chose, César, à te demander à propos de Petronius. Je souhaiterais t'en parler seul à seul.
- Bien. LaisseTnous, futur procurator. Tu auras bientôt de mes nouvelles.
Petronius remercia, salua et sortit complétement désarçonné par le tour que prenaient les événements.
- qu'as-tu à me dire, Milvius ? demanda l'Empereur. Laisse-moi d'abord te remercier de m'avoir fait connaître ce jeune sculpteur. Ce ne sont pas mes artistes habituels qui auraient attiré mon attention sur ce nouveau talent qui risque fort de les concurrencer. Parle-moi donc de ce jeune homme.
- Rufa t'en dirait plus long que moi. Je sais que parmi ses ancêtres il compte les b‚tisseurs de la Maison Dorée, du grand amphithé‚tre Flavien, des thermes de Trajan et d'une quantité d'autres monuments dont les Romains
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