Les dîners de Calpurnia
en buvant le vin du pays, un blanc doré sans prétention. Et enfin ils parlérent. Elle lui expliqua pourquoi et comment elle revenait dans sa vie aprés une si longue absence :
- C'est tout simple. Je t'avais dit que je te retrouverais dés que ma situation d'épouse le permettrait. Mon éloi-gnement a sans doute facilité
mon penchant vertueux mais je n'ai pas trompé mon mari qui s'est révélé
bon, attentif et raisonnablement passionné, ce qui m'a arrangée.
- Mais qu'y a-t-il de changé ? Il est, je pense, rentré avec toi ?
- Non, il est mort. Il avait succédé à Pline au gouvernement de la Bithynie et il a été terrassé il y a quatre mois par une fiévre pernicieuse.
- Tu n'en as pas l'air trés affectée ?
- Vous êtes curieux, vous, les hommes ! Tu voudrais peut-être que je vienne chez toi le pleurer aprés avoir fait l'amour ? Sa mort m'a fait de la peine, c'est vrai, mais le temps a déjà effacé les regrets. Ce qui compte maintenant c'est ma nouvelle vie qui commence. Si tu veux encore de moi je me présente : veuve encore agréable, vieille famille patricienne, fortune en rapport et amoureuse.
- Je prends tout, sauf la fortune dont je n'ai pas besoin, répondit-il en riant. Mais ton pére ?
- Mon pére est rentré avec l'Empereur un peu avant moi, épuisé par ce dernier voyage au cours duquel Hadrien a perdu son bel Antinous. Tu as s˚rement entendu parler de ce berger rencontré dans notre province. qu'il était beau !
- Tullia ne t'a pas dit ? Il a posé pour moi au palais lors du séjour d'Hadrien à Rome et j'ai sculpté son buste. En ce moment j'en commence un second, de mémoire...
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- L'Empereur te l'a commandé ?
- Non, c'est pour moi. Le suicide de cet enfant promu dieu par la volonté
de César m'inspire. Je te montrerai l'ébauche.
- As-tu fait d'autres sculptures de moi ?
- Le Vélabre en est plein. Mais tu ne m'as toujours pas dit si ton pére acceptera de te voir fréquenter un vulgaire travailleur manuel.
- Tais-toi. Tu es un manuel mais tu n'es pas vulgaire. Mon pére ne sacrifiera pas mon bonheur à quelque considération de classe. Il préférerait sans doute que j'assure l'avenir en me remariant avec un riche fonctionnaire bien en cour mais il sait que je serais intraitable s'il m'en proposait un. Autant que tu le saches : si je me remarie un jour, ce sera avec toi !
Petronius cria : " Vivat ! ", esquissa un pas de danse et dit:
- Avec toi, malheur et bonheur ne se détaillent pas ! Je n'arrive pas à
croire aux joies qui m'assaillent depuis ton arrivée et puisque tu penses à
m'offrir ta main, moi aussi je me présente : manuel aux paumes calleuses, sculpteur de dieux, portraitiste de notables et de riches bourgeois, chevalier de l'ordre du marbre, situation financiére modeste. Petit-fils de la reine Calpurnia !
- C'est comme cela que je t'aime, dit-elle, les larmes aux yeux, en se jetant dans ses bras.
- L'ennui, c'est que tu vas repartir. Je ne sais pas pourquoi, les femmes que j'aime doivent toujours partir ! Rentres-tu à Rome ?
- Non, je vais loger chez un ami de mon pére qui a une villa proche de celle de Pline, ou plutôt de celle de sa femme.
- Cette merveille n'appartient plus à la veuve de Pline. Elle l'a vendue car elle préfére la propriété de Toscane. Alors, tu comptes t'installer chez ces gens ?
- Pas pour longtemps. Je vais rester quelques jours là-bas puisqu'on m'y attend, et je viendrai aprés discré-427
tement chez toi. J'ai tellement envie de vivre ta vie, de te regarder travailler, de m'occuper de ta maison. Petronius sourit :
- Cela n'a pas d˚ t'arriver souvent de t'occuper d'une maison ?
- Jamais ! Mais je me débrouillerai.
- Ne t'inquiéte pas, pauvre petite fille riche. Nous trouverons dans le voisinage toute l'aide que nous voudrons. Mais aujourd'hui ? Repars-tu tout de suite ?
- Ah, non ! Je vais renvoyer la voiture et dire qu'on vienne me rechercher demain.
- Tes amis ne vont-ils pas être surpris ?
- Si tu savais comme je m'en moque !
Le soir, dans la " cour des dieux ", comme il appelait l'enclos qui jouxtait la maison, ils parlérent interminablement de tous les événements survenus au cours de leur longue séparation. Elle décrivit l'existence fastueuse mais ennuyeuse d'une femme de gouverneur dans une province lointaine, il raconta la vie devenue morne au Vélabre, la disgr‚ce d'Apollodore, la vieillesse de Calpur-nia et sa mort, en omettant ses obséques chrétiennes puisqu'il avait juré le
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