Les dîners de Calpurnia
la grande patience de la nature. Petronius sentit revenir en lui le vide de la solitude. Il dut se forcer un peu pour reprendre l'outil mais, au premier 1. L'usage de la vrille, à partir d'Hadrien, a en effet ouvert de nouveaux horizons à la sculpture du marbre. Gr‚ce à elle les iris et les pupilles des portraits sont maintenants sculptés au lieu d'être peints et rendent différemment l'intériorité du regard.
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claquement du ciseau sur le marbre, il retrouva ses sensations. Il se dit qu'il comprenait mieux l'effacement d'Antinous et atténua légérement au burin les signes d'effroi sur son visage.
Un mois plus tard, Petronius regagna l'atelier du Véla-bre. Rufa était revenue vivre une semaine avec lui à Ostie et ils avaient atteint à la félicité dont un couple peut rêver. A Rome, hélas ! les contraintes réapparaissaient. La jeune femme avait beau dire qu'elle se moquait de ce que pouvaient penser les gens, le respect de la réputation de son pére aliénait sa liberté.
Un soir o˘ il la raccompagnait en maudissant les conventions qui les empêchaient d'être pleinement heureux, elle annonça qu'elle allait parler au sénateur.
- Je vais lui demander de m'aider, dit-elle. Tous nos espoirs reposent sur l'amour qu'il me porte.
Rufa craignait la colére du haut dignitaire de l'Empire, elle découvrit la bonté du pére.
- Je devine pourquoi tu veux me voir, dit-il. Libre des liens du mariage, tu ne penses qu'à retrouver celui que tu aimes depuis toujours, l'homme du marbre dont les mains calleuses te rendent plus heureuse que celles bien récurées d'un fonctionnaire ennuyeux.
Elle le regarda, stupéfaite :
- Comment ? Tu es au courant ? Tu connais l'existence de Petronius ?
- Depuis le début de ton aventure de jeune fille si sage en apparence. Je n'ai pas eu de mal à apprendre ta liaison, des informateurs m'ont renseigné
trés vite.
- Et tu n'as rien dit ?
- Ma petite fille, tu es la seule personne qui compte pour moi et que je chérisse. Je ne pensais qu'à ton bonheur et tu paraissais heureuse ! J'ai hésité et me suis décidé à te laisser un beau souvenir de ta jeunesse.
Seulement, lorsque j'ai su que j'allais accompagner l'Empereur dans un trés long voyage, je me suis senti obligé de mettre un terme à ton histoire d'amour et de te marier. Je
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dois dire que tu m'as soulagé en acceptant sans protester et en tenant ta place de dame romaine auprés d'un mari que je n'avais pas mal choisi, avoue-le. Mais cela, c'est le passé. Et maintenant ?
- J'ai accompli mon devoir, je ne t'ai pas fait honte mais aujourd'hui je veux vivre avec celui qui m'a attendue si longtemps. Pére, je t'en prie, permets-moi d'épouser Petronius.
- Si cela ne tenait qu'à moi, je te donnerais tout de suite mon consentement. Hélas, mon rang, le tien aussi, me contraint à demander son avis à l'Empereur. Et rien ne me fait penser qu'il sera favorable. La fille d'un préfet qui choisit d'épouser un manuel est un cas sur lequel il n'a s˚rement jamais eu à se prononcer.
- Ce n'est pas un manuel ordinaire. Antinous a posé pour lui au palais et Petronius a sculpté son buste. En ce moment il achéve un autre portrait de lui et c'est un chef-d'úuvre. Hadrien pleurera s'il le voit un jour !
- Attends ! Tu me donnes une idée. Pourquoi l'Empereur ne verrait-il pas ce buste ?
- Tu crois que...
- Je ne crois rien du tout mais préviens-moi quand le portrait sera terminé. D'ici là, montre-toi discréte.
La réaction de Milvius Aurelius mit du baume au cúur des amoureux. " Mon pére ne prendrait pas le risque de consulter l'Empereur s'il pensait n'avoir aucune chance de le fléchir ", disait Rufa. Petronius, lui, travaillait la nuit pour achever le buste d'Antinous. Il pensait toujours que le mariage était une idée folle de Rufa mais il cédait à son optimisme.
Dés qu'il eut donné le dernier coup de gradine, les événements se précipitérent. Le lendemain, Rufa arriva exaltée :
- Petronius, ouvre bien tes oreilles : mon sénateur de pére va venir tout à
l'heure. Il veut voir à quoi ressemble ce buste que je ne cesse de lui présenter comme un chef-d'úuvre. Je crois aussi qu'il est curieux de voir quelle tête a l'amant de sa fille.
Milvius Aurelius au Vélabre pour voir l'une de ses sculptures ! Petronius avait du mal à croire une chose aussi insensée. Enfin, à la demande de Rufa, il alla se raser et endosser une tunique propre, puis ils s'installérent dans l'atrium pour
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