Les dîners de Calpurnia
voulu en faire son atelier des champs.
Aprés les premiers travaux, elle ne représentait pas encore la villa de ses rêves mais il aimait voir dans la cour Jupiter converser avec l'ébauche d'une Junon au milieu
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d'un parterre de divinités. " Le monde des statues d'Atti- * eus m'a adopté ! " disait-il à Polimus qui venait souvent, en voisin, le regarder travailler. " Je me demande, ajoutait-il, comment elles vont accueillir le nouveau dieu qu'Hadrien ajoute à leur immortel cortége ! " Le vieux marbrier riait et répondait que cela dépendrait de la réussite du buste : "
C'est toi plus que César qui feras une divinité de ce malheureux enfant ! "
Un jour, alors que le soleil, presque au zénith, rendait le marbre br˚lant, Petronius s'était réfugié à l'ombre du I noyer qui couvrait tout un angle de la cour. Il travaillait vêtu d'un seul pagne de toile, les pieds nus dans la poussiére de marbre, la tête protégée par une écharpe nouée en turban. Il n'était pas rasé, la poussiére de carrare lui ï collait à la peau, il était sale, il était beau.
I
C'est ainsi que Rufa le découvrit. Aveuglé par le soleil et I la sueur, il n'identifia pas immédiatement celle qui des- ' cendait de la voiture qui l'avait amenée. Ce n'est que lorsqu'elle l'appela par son nom qu'il reconnut sa voix, puis son visage. Lui qui sculptait du sacré, modelait des fantômes et ressuscitait les morts, il se demanda si la frêle silhouette qu'il avait devant lui n'était pas une illusion de plus dans sa vie de créateur.
- La surprise n'explique pas tout, dit Rufa. On dirait que tu ne me reconnais pas ! Moi j'ai retrouvé tout de suite ton corps aux muscles longs et ton air sauvage sous la couche de poussiére qui te transforme en boulanger ou en masque de tragédie.
- que veux-tu, quand l'impossible devient réalité au moment o˘ l'on s'y attend le moins, il y a de quoi perdre ses sens. J'étais en train d'essayer de me souvenir du visage d'un mort, et te voilà, souveraine, magnifique, qui surgit devant moi ! Je suis bête à en pleurer. Tu es là et je ne sais que dire. C'est peut-être à cause de ma tenue. Regarde-moi, sale, luisant de sueur, je n'ose approcher la blancheur de ta robe. Et encore moins t'embrasser.
- J'ai toujours pensé que tu ne comprenais pas grand-chose aux affaires de l'amour. Tu parles mieux au marbre
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qu'aux femmes. Alors je vais te montrer que je ne suis pas un rêve et que je me moque bien que tu sois sale et mal rasé.
Avant qu'il ait pu esquisser une réponse, elle s'était approchée et jetée contre lui. Leur étreinte fut sauvage. Sur l'herbe, sous l'úil narquois de Mercure, le plus fantaisiste des fils de Zeus, ils s'aimérent longtemps, presque sans parler. Petronius essaya bien de poser une question mais Rufa répondit :" Tout à l'heure, je t'expliquerai et ce sera long. Il s'est passé tellement de choses dans nos vies depuis que nous nous sommes quittés ! "
Le sculpteur avait mis le matin une baignoire d'eau à chauffer au soleil.
Ils s'y plongérent, se frottérent mutuellement et s'aimérent encore une fois dans le bain avant de se sécher.
- Comment ai-je vieilli ? demanda-t-elle. Sais-tu que j'ai plus de trente ans ?
- Tu as un jour de plus que la derniére fois o˘ nous nous sommes vus. Tu es toujours aussi belle. Mais non, je suis sot, tu es bien plus belle !
- Allons, tu fais des progrés ! Mais dis-moi, as-tu quelqu'un qui te sert dans ta retraite ? Pour ne rien te cacher, j'ai un peu faim.
- Non, je suis seul. J'ai laissé mon monde au Vélabre.
ïJe me sens beaucoup plus libre pour travailler. Mais nous allons trouver, je te le jure, quelque chose à manger.
Avant, dis-moi comment tu as réussi à me retrouver dans ce coin de campagne perdu ?
- C'est Tullia qui m'a dit o˘ tu te cachais. Ne rougis pas, elle m'a tout raconté et je vais te surprendre : je préfére que ce soit elle plutôt qu'une autre qui t'ait permis de m'attendre.
- Elle m'a toujours dit qu'elle savait que lorsque tu reviendrais elle ne compterait plus pour moi.
- Et c'est vrai ?
- Pas tout à fait. Tullia est devenue une femme merveilleuse et j'aurais du mal à la quitter comme une tuni-425
que qui a trop servi. Crois-tu que nous pourrons rester amis ?
- Pourquoi pas ? Comme tu l'as remarqué elle a beaucoup changé et, n'en déplaise à ton orgueil de m‚le, je crois qu'elle réussira facilement à se passer de toi.
Ils dévorérent des úufs, du jambon, des fruits
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