Les dîners de Calpurnia
je vais mourir.
Ce soir-là, il ne prit pourtant qu'un repas léger et gagna aussitôt sa chambre, un signe qui n'échappa pas à la tendre attention de Calpurnia.
Le peuple de Rome ignorait à peu prés tout des complots qui se tramaient et des alliances qui se nouaient dans les provinces. En cette fin d'été, il travaillait, traînait sa nonchalance aux thermes ou dans les ruelles br˚lantes. Des bruits alarmants circulaient bien sur le forum mais, en dehors du milieu politique et des hauts fonctionnaires, personne n'y attachait grande importance.
A Corinthe, Néron continuait de partager son temps entre la musique, cette drogue dont il ne pouvait se passer, et la surveillance du creusement du canal. Trente-cinq puits d'une quarantaine de métres avaient déjà été forés et les travaux se poursuivaient sans rel‚che1. C'est à peine si l'Empereur daignait prendre connaissance des courriers qui arrivaient de Rome et qui auraient d˚
1. Les travaux de Néron, qui s'arrêteront au trente-septiéme puits, laisseront des traces profondes que retrouveront les terrassiers lorsqu'ils reprendront, dix-huit siécles plus tard, en 1880, le creusement du canal actuel. Celui-ci sera achevé en 1893.
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l'inquiéter. Le voyage-mascarade en Gréce avait accru sa popularité en Orient, mais achevait de le discréditer dans le reste de l'Empire. Le Sénat en particulier, qui avait en charge l'administration de la Gréce, se voyait privé depuis l'indépendance de fructueuses prébendes. Fait plus grave, la faveur accordée à l'Hellade suscitait des jalousies dans d'autres provinces, dont la Gaule, encore marqué par les priviléges dont elle avait joui au temps de Claude, né à Lyon. Enfin, et surtout, l'absence prolongée de Néron livrait l'administration de l'Empire, sa force traditionnelle, aux caprices d'incompétents ou d'intrigants. Helius, qui dirigeait ce gouvernement avec mollesse, se rendait bien compte de la détérioration du climat politique et suppliait en vain l'Empereur de revenir mettre de l'ordre dans les affaires. Mais Néron, qui se trouvait bien loin de Rome o˘, il le savait, ne l'attendaient que cabales et conspirations, retardait sans cesse son retour. Il fallut qu'Helius vienne le rejoindre à Corinthe et lui peigne un tableau de la situation lourd de menaces pour qu'il se décide à reprendre en maugréant la route de l'Italie.
Martial, désúuvré en l'absence de Néron, trompait son ennui en papotant dans les couloirs du palais, distribuant ici quelque épigramme, là quatre vers piquants sur un absent. C'est au cours d'un de ces caquetages banals qu'il apprit le retour prochain de l'Empereur. La nouvelle intéressait au premier chef Celer qui se trouvait toujours sous la menace d'une expatriation à Corinthe. Martial en conclut trés vite que l'occasion était bonne pour un mes--sager impécunieux d'aller se faire inviter à dîner chez Sevurus.
- Mes amis, déclara-t-il en entrant, vous pouvez vivre en paix. Néron a abandonné son canal. Il est sur le chemin du retour. Cela vous fait plaisir et à moi aussi : personne en l'absence de Néron ne se rend compte que je me nourris de rimes.
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- Ouf ! s'écria Calpurnia. Nous voilà soulagés d'un grand poids ! J'espére que notre César saltimbanque ne va pas avoir en rentrant un nouveau caprice qui perturbera la famille. Mais quand arrivera-t-il à Rome ?
- Ni demain ni aprés-demain. Il rentre par petites étapes, suivi d'une caravane encore plus importante qu'au départ : un butin de stéles, de statues et de prix gagnés sur les estrades de Gréce. De plus, il compte s'arrêter à Naples quelques semaines.
- Sait-il que les garnisons des Gaules sont entrées ouvertement en guerre contre le pouvoir de Rome ? demanda Sevurus.
- Sans doute, mais cela ne doit pas l'empêcher, à cette heure, de'souper tranquillement !
Néron, en effet, en attendant le retour de Tigellin qu'il avait envoyé en reconnaissance à Rome, consacrait ses journées aux spectacles et à la musique. Les nouvelles que le préfet du prétoire rapporta étaient si désastreuses que César, retrouvant ses esprits, comprit qu'il devenait urgent de calmer le Sénat dont l'humeur s'aigrissait et de prendre des mesures pour mater les dissidences.
Une proclamation de Galba, le gouverneur mutin de l'Espagne Tarraconaise, força sa décision. Ce qui l'avait le plus indigné dans ce manifeste rendu public dans tout l'Empire n'était pas l'annonce de sa prochaine
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