Les dîners de Calpurnia
aprés le sacrifice.
- Es-tu heureuse ? demanda Celer.
- Oui, mais je suis surtout contente que cette comédie soit terminée.
Avions-nous besoin de voir couler du sang pour nous aimer et croire que notre mariage sera heureux ? Ce n'est pas aujourd'hui que nous nous sommes épousés mais le jour o˘ tu m'as étreinte sur mon lit d'asphodéles.
- C'est vrai, mais Sevurus nous voulait mariés. Pas seulement parce qu'il pense à l'anciennç mais aussi pour
1. Nous dirions aujourd'hui le garçon d'honneur.
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qu'il puisse nous léguer son bien. " Maintenant, m'a-t-il dit tout à
l'heure, je peux mourir en paix. "
- Tu n'aurais pas d˚ me répéter cela. La seule idée que Sevurus mourra un jour me plonge dans la tristesse. Je lui dois tout...
- Moi aussi. N'oublie pas que si nous sommes mari et femme, nous restons des frére et súur. L'amour, la tendresse, voilà notre vie maintenant !
- J'ai justement ce soir besoin des deux. Me les donneras-tu ?
- Tout de suite, mon amour.
- J'ai d'abord une chose à te demander : voudras-tu m'accompagner demain au temple d'Isis ? C'est à la déesse que j'ai promis, la premiére, de te rendre heureux toute la vie.
- Bien s˚r ! Je te sais attachée au culte d'Isis plus qu'à tous les dieux romains et, malgré mon incrédulité, j'adresserai une ardente priére à la déesse pour qu'elle veille sur notre bonheur. Aprés, si tu le veux, nous irons au cirque Maxime voir courir les chevaux. Je n'aime pas les combats de gladiateurs mais la lutte des auriges, droits sur leur char, me plaît.
Ce sera une occasion de découvrir le cirque qu'a fait reb‚tir Néron aprés l'incendie de 64. La piste a été élargie et des gradins nouveaux en marbre ont été édifiés.
- Il y a des courses aujourd'hui ?
- Oui, c'est la neuvaine des ludi\, le cirque va être plein. Voilà bien des projets pour demain... mais ce soir? N'avons-nous rien à faire ?
- Si. Nous aimer...
Long de six cents métres, large de deux cents, l'ovale du cirque, dont la piste sablée brillait sous le soleil, apparut colossal à Calpurnia. Plus de cent mille spectateurs l'entouraient, installés sur les nouveaux gradins que chacun s'accordait à trouver confortables. Martial avait pu 1. Ludi : à la fois jeux et écoles de gladiateurs (ludus gladiatorius).
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se procurer de bonnes places pour lui et ses amis. Il les attendait sur la rangée située prés du pulvinar, la loge d'apparat o˘ s'installerait le consul, président de la journée.
- Alors, les jeunes mariés ? plaisanta-t-il, avez-vous bien dormi aprés la fête d'hier ? J'espére que vous aviez économisé quelques forces, moi j'étais pour ma part ivre et épuisé, je ne sais même plus qui m'a ramené
dans sa litiére.
- Moi je n'ai eu qu'à porter Calpurnia dans mes bras jusqu'au lit !
- Je suis heureux pour vous. Et vous le prouve ! Avant que la frénésie ne s'empare du cirque et que les cris des parieurs nous submergent, je vais vous lire l'épigramme que j'ai composée ce matin à votre intention.
Il se rapprocha et, de sa voix de basse qui enchantait Néron, commença à
lire, sans se soucier des voisins de banquette qui écoutaient :
- " Ce qui fait le bonheur de vivre, Calpurnia et Celer, le voici : une fortune acquise par le travail ou encore mieux héritée ; un domaine qui ne soit pas ingrat ; un foyer qui ne s'éteigne pas ; aucun procés ; peu de visites ; une ‚me en repos ; une vigueur distinguée ; un corps sain ; une prudente franchise ; des amis qui soient des égaux ; des convives indulgents ; une table sans apprêt ; des soirées sans ivresse comme sans soucis ; une femme qui soit chaste sans austérité ; un mari beau et généreux ; la satisfaction de ce qu'on est sans préférer autre chose ; nulle crainte du jour suprême, nul désir non plus. "
Calpurnia et Celer ne furent pas les seuls à applaudir. De nombreux spectateurs avaient reconnu Martial et apprécié sa poésie o˘ la chanson du bonheur était tempérée par la mélopée d'une résignation bien dans l'atmosphére du temps.
- Ton envoi est merveilleux, dit Calpurnia. Je le trouve pourtant un peu mélancolique.
- C'est que je le suis devant votre félicité. Je n'ai pas votre chance d'être deux, mes amis !
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Mais la cavea s'animait. Les attelages venaient un par un occuper sur la piste la place que le sort leur avait désignée. Les bêtes piaffaient, entourées par les magistri et les conditores qui les calmaient, les caressaient ou
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