Les dîners de Calpurnia
les coupes remplies du vin cuit et aromatisé servi comme apéritif. Sevurus, allongé à sa place habituelle, était heureux. Les plaisirs de la table avaient compté pour le vieil architecte chez qui l'on avait toujours trés bien mangé, mais sagement, à la maniére des épicuriens dont il aimait rappeler la douce philosophie.
Le poisson annoncé par Calpurnia était un beau rouget, bien dodu et doré au four sous une épaisse couche de garum1, un luxe que peu de Romains pouvaient s'offrir. Chacun s'en délecta et trouva le Rhégio admirable.
Sevurus expliqua non sans fierté comment il avait fait surveiller sa vinification, choisi des amphores peu ventrues pour le conserver et surtout comment il avait conçu le plan de sa cave, du côté nord, en veillant à ce qu'elle reçoive le jour du septentrion.
- Faire le vin et savoir l'apprécier est une science, conclut-il. Je pense, avec mon ami Scaurus, autre grand amateur, que nous pourrions l'appeler l'"
únologie ", d'aprés le mot únanthe qui, comme chacun sait, désigne la "
fleur de vigne ". Voyez-vous, mes enfants, c'est le bon vin, bu en petite quantité, qui illumine les jours qui me restent à vivre. Et qui les prolonge, j'en suis certain !
Les hommes applaudirent l'éloge et Calpurnia, émue, vint embrasser le vieil artiste qui entendait gérer jusqu'au bout sa vie avec sagesse. Puis elle alla chercher sa cithare. Longtemps, elle accompagna Valerius qui avait une trés belle voix. Martial avait eu le temps de trousser un poéme o˘ il se moquait gentiment de chacun des convives, sauf de Sevurus qu'il baptisa "
architecte du bon plaisir "
1. Le garum était le condiment de prédilection des gourmets romains. Son prix était trés élevé. Il était fabriqué à Leptis, à Pompéi, en Provence, à
partir de boyaux de maquereaux macérés dans du sel et exposés au soleil jusqu'à compléte décomposition. Aprés quoi il était conservé dans des vases hermétiquement clos.
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Une fois encore, la maison du Vélabre avait été celle du bonheur. D'un accord tacite on n'avait pas parlé de Néron. Comme si l'Empereur affaibli était déjà détrôné.
Le lendemain, Celer accompagna en litiére Sevurus, qui avait retrouvé son allant et sa joie de vivre, jusqu'au centre de la ville. Tous deux étaient avides de nouvelles et ils étaient s˚rs de rencontrer sur le forum de César et celui d'Auguste, o˘ battait le cúur de l'Empire, les amis ou connaissances qui les renseigneraient sur les rebondissements d'une crise que le triomphe factice de Néron ne pouvait avoir apaisée.
La premiére personne qu'ils croisérent prés de la statue équestre de César fut la bonne. Peu de gens à Rome pouvaient se dire mieux informés que Caius Sejan, l'un des hommes liges et affranchi de Nymphidius, préfet du prétoire comme Tigellin. Caius Sejan était l'obligé de Sevurus qui lui avait permis de se loger confortablement à une époque o˘ il débutait dans la vie publique. Il vouait une réelle affection à l'architecte et savait qu'il pouvait se confier à celui qui menait une vie retirée loin du chaudron sénatorial.
- Alors, Caius ? Comment vont les affaires de l'Empire ? demanda Sevurus.
Aucune nouvelle n'arrive dans ma retraite du Vélabre.
- Mal pour Néron, mieux pour la sédition. Vindex a été tué mais Verginius Rufus et ses trois légions de Germanie ont grossi l'armée des Gaules.
- Rufus serait donc prétendant à l'Empire ?
- Non. Il a, paraît-il, refusé. C'est maintenant Galba, le gouverneur de l'Espagne, qui a pris la tête de la révolte avec l'appui d'Othon, le maître de la Lusitanie.
- Mais Galba a mon ‚ge. N'est-il pas bien vieux ?
- Il a soixante-douze ans. C'est peut-être pour cela qu'il a été choisi. Il laisse de l'espoir aux plus jeunes, comme Othon, qui n'ont pas aujourd'hui la stature suffisante pour s'imposer à Rome.
- Et ton patron ? Il défend Néron avec Tigellin ? Il est hdéle ?
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- Permets-moi, Sevurus, de ne pas répondre à cette question. Enfin, tu sais, quand le bateau commence à prendre l'eau...
- J'ai compris. Pourtant je suis s˚r que si Néron prenait la tête de l'armée d'Italie, de Bretagne et d'Illyrie pour marcher contre les troupes révoltées, il trouverait à Rome l'appui du Sénat. N'oublie pas que son autorité est intacte sur les prétoriens et qu'il est trés populaire. La chaleur de l'accueil à son retour de Gréce, même en tenant compte des acclamations de commande, vaut un
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