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Les disparus

Titel: Les disparus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Mendelsohn
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doit son prénom. Elle était russe.
RUSSIE, dit son certificat de décès, à la mention PAYS D'ORIGINE, même si la
RUSSIE et le PAYS D'ORIGINE ne peuvent, il faut le dire, suggérer la nature ou
les raisons de son horrible émigration, dont j'ai fini par entendre parler par
mon grand-père, le gendre de cette femme simple et épuisée, une histoire qui
est, pour quelqu'un de ma génération et de mon éducation, absolument impossible
à imaginer.
    Qu'est-ce que mon grand-père m'a raconté ? Il m'a raconté
que sa belle-mère, pour qui, j'ai cru comprendre, il n'avait aucune affection
ni aucune antipathie particulière (Tu sais, m'avait-il dit un jour en
haussant les épaules, les beaux-parents !), était venue en Amérique
après que sa famille entière avait été brûlée au cours d'un pogrom à Odessa ou
dans les environs, sort auquel elle avait échappé parce qu'elle était au
cabinet quand les Cosaques, ou je ne sais qui, étaient venus, ce jour-là (ils
étaient déjà venus bien des fois, évidemment) ; complètement seule à l'âge de
quinze ans, elle avait traversé l'Europe pour prendre une place à bord d'un
bateau qui l'emmènerait en Amérique, où elle avait un parent qui l'avait aidée
; dès son arrivée, au début des années 1890, elle avait fait ce qu'il fallait,
c'est-à-dire se trouver immédiatement un mari et, dans ce cas précis, le mari
qu'elle avait trouvé était un veuf paralysé, avec des enfants déjà grands qui,
après le mariage avec cette jeune femme de dix-neuf ans environ, simple et
traumatisée, s'étaient mis à la tourmenter en cachant des chaussettes puantes
au fond des lits qu'elle devait faire tous les matins, histoire que sa fille,
ma grand-mère, allait raconter à sa fille, qui la raconterait plus tard
à moi.
    De cette femme pathétique, ma grand-mère diabétique que
j'aimais tant avait hérité les cheveux dorés, qui étaient aussi ceux de ma
mère, ce qui explique pourquoi mon frère Matt (dont j'étais à 1'adolescence,
avec mes cheveux noirs et frisés, si jaloux) avait de si beaux cheveux blond
clair quand il était petit ; et pourquoi j'ai toujours pensé qu'il ressemblait,
avec ces cheveux et ses yeux légèrement bridés de Tatar, et les angles austères
de son visage, à la fois à la figure d'une icône et aux Slaves qui l'auraient
vénérée. Les Slaves, c'est-à-dire ceux qui, par un jour impossible à connaître
des années 1880, avaient fondu sur une ville près d'Odessa et violé les femmes,
pillé et incendié les maisons de pauvres Juifs insignifiants, ce qui explique
pourquoi mon arrière-grand-mère était venue en Amérique et comment, en effet,
certains membres de ma famille avaient les cheveux blonds, des cheveux
tellement blonds.
    Mais les meilleures de
toutes les histoires étaient naturellement celles que racontait le père de ma
mère, puisqu'il était, après tout, le seul de mes parents qui avait fait ce
remarquable voyage jusqu'en Amérique et avait été assez âgé à l'époque pour en
conserver des souvenirs. Comment c'était le voyage jusqu'en Amérique, tu
veux savoir ? répétait mon grand-père, en ricanant doucement, quand je
l'interviewais sur sa vie. Je ne pourrais pas te le dire, parce que j'étais
tout le temps dans les toilettes en train de vomir ! Mais cette autodérision,
qui laissait entendre qu'il n'y avait pas d'histoire à raconter, faisait partie
de l'histoire de sa venue en Amérique, une histoire qui, comme je le savais,
avait de nombreux chapitres. Sans aucun ordre particulier, je me souviens à
présent de ces histoires : celle sur la façon dont lui et sa sœur, ma sombre
Tante Sylvia, qu'il avait toujours appelée Susha, et dont le nom figure
sur la liste des passagers, aujourd'hui disponible en ligne grâce à la banque
de données d'Ellis Island, en tant que Sosi Jäger, avaient voyagé
« pendant des semaines » pour aller de Lvov à Rotterdam « où
attendait le bateau », disait-il, et n'étant qu'un petit garçon ne sachant
presque rien du monde, j'étais impressionné, à l'époque, à l'idée qu'un bateau
aussi gros ait attendu ces deux jeunes gens de Bolechow, fausse impression que
mon grand-père se gardait bien de corriger ; et puis comment, après le long
trajet en train, de Lvov à Varsovie, puis de Varsovie, à travers l'Allemagne,
jusqu'aux Pays-Bas, ils avaient failli rater le bateau, parce que les filles
avaient les cheveux tellement longs.
    Parce que les filles avaient les cheveux

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