Les disparus
son cousin au téléphone et dire un truc du genre, Je
croyais qu'ils se cachaient et qu'un voisin les avait dénoncés, non ?
Une autre fois, des années plus
tard, j'avais entendu quelqu'un dire, Quatre filles superbes.
Une autre fois encore, j'ai
entendu mon grand-père dire à ma mère, Je sais seulement qu'ils se cachaient
dans un kessle. Comme je faisais déjà les ajustements nécessaires en raison
de son accent, quand je l'avais entendu dire ça, je m'étais simplement demandé,
Quel castel ? Bolechow, à en juger par les histoires qu'il m'avait racontées,
n'était pas un endroit où trouver des castels ; c'était un endroit tout petit,
je le savais, un endroit paisible, une petite ville avec une place, une église
ou deux, une shul et des boutiques affairées. C'est bien plus tard,
longtemps après que mon grand-père est mort et que j'ai étudié plus
sérieusement l'histoire de sa ville, que j'ai appris que Bolechow, comme tant
d'autres shtetls polonais, avait été autrefois la propriété d'un
aristocrate polonais, et lorsque j'avais su ce fait, j'avais naturellement
plaqué cette information nouvelle sur mon souvenir ancien de ce que j'avais
entendu mon grand-père dire, Je sais seulement qu'ils se cachaient dans un
kessle. Un castel. De toute évidence, Shmiel et sa famille avaient trouvé
une cachette dans la grande résidence d'une famille noble qui avait autrefois
possédé la ville, et c'était là qu'ils avaient été découverts après avoir été
trahis.
À un moment quelconque, j'avais
entendu quelqu'un dire, Ce n'était pas le voisin, c'était leur propre bonne, la shiksa. J'ai trouvé ça troublant et bouleversant, puisque nous avions
nous aussi une femme de ménage qui était – je savais ce que signifiait shiksa
– une femme chrétienne, une Polonaise, en fait. Pendant trente-cinq ans, la
femme de ménage polonaise de ma mère, une grande femme aux hanches larges que
nous avions fini par considérer et traiter comme une troisième grand-mère, une
femme qui, alors que les années 1960 devenaient les années 1970, et les années
1970, les années 1980, en était arrivée à avoir le même genre de corps (comme
il est possible de le constater grâce aux quelques photos que nous avons
d'elle) que celui qu'avait eu autrefois la femme de Shmiel, Ester, cette femme
venait toutes les semaines chez nous pour passer l'aspirateur, faire la poussière,
laver le sol, et conseiller ma mère, en temps utile, sur ce qu'elle devait
faire de tel ou tel bric-à-brac (C'est l'ordure ! tançait-elle à
propos d'un objet de porcelaine ou de cristal. Jette-le à poubelle !). Après
que Mme Wilk et ma mère sont devenues amies, et que les visites hebdomadaires à
la maison dégénéraient, avec le temps, en déjeuners de plus en plus longs,
composés d'œufs durs, de pain, de fromage et de thé, pris à la table de la
cuisine devant laquelle les deux femmes, dont les mondes n'étaient pas aussi
éloignés qu'ils auraient pu le paraître au premier abord (c'était à Mme Wilk
que mon grand-père, lorsqu'il nous rendait visite, racontait en polonais ses
plaisanteries scandaleuses et déplacées) ; après des années de mardi au cours
duquel elles passaient des heures assises à se plaindre et à échanger certaines
histoires – par exemple, celle que Mme Wilk avait fini par confier à ma mère
sur la façon, oui, dont on lui avait appris, à elle et aux autres filles
polonaises de sa ville de Rzeszow, à haïr les Juifs, et qu'elles étaient bien
incapables alors de comprendre que ces histoires sur les Juifs étaient fausses
– et aussi certains potins sur les pani, les riches voisines qui ne
partageaient pas leurs repas avec leur femme de ménage ; après tout ce temps,
au cours duquel les deux femmes étaient devenues amies, Mme Wilk avait commencé
à apporter à ma mère des bocaux remplis de délices polonais qu'elle préparait
et dont le plus célèbre, à la fois pour le son amusant de son nom et pour
l'arôme sublime qu'il diffusait, était quelque chose qu'elle appelait
« gawumpkees » : de la viande hachée et épicée, roulée dans des
feuilles de chou et nageant dans une sauce rouge très riche...
Cela et, je suppose, le fait que
je n'ai pas grandi en Pologne, voilà pourquoi je trouvais si pénible de penser
que Shmiel et sa famille avaient été trahis par la bonne shiksa.
Une autre fois, des années plus
tard, au cours d'une conversation téléphonique, le cousin germain de ma
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