Les disparus
regard insistant et je savais ce qu'il
voulait dire : un animal tué dans la forêt ne pouvait pas être cascher. Mon
grand-père appartenait à une longue lignée, des générations en fait, de
bouchers juifs ; dans les bois, ils devaient savoir ce qu'ils faisaient. Mais
si la vie est en jeu, Dieu pardonne ! disait-il à ce moment de son
histoire...
Il s'était donc brûlé les pieds dans l'eau bouillante de la
Sukiel, cette nuit-là. Mais ce n'était pas la fin de l'histoire. Après un
silence pour ménager ses effets, il poursuivait. Un garçon avec qui j'allais
à l'école est mort bouilli dans la rivière, ce soir-là. Aujourd'hui encore,
quand j'entends dans ma tête la façon dont il a prononcé le mot bouilli, je
tremble. Qui sait si c'était vrai ? Quand nous sommes revenus, quelques
jours plus tard, disait-il pour achever son récit, la moitié de la
maison avait disparu.
Je pensais à ça pendant que Jack et Bob se souvenaient de la
façon dont les Ukrainiens, quand les mauvais jours avaient commencé, jetaient
les Juifs dans la rivière. Ou bien (a ajouté Jack), de temps en temps, ils
emmenaient les Juifs le long de la rivière et les abattaient là.
Tu te souviens que Gartenberg a été abattu ? a-t-il dit en
regardant Bob.
Bob a hoché la tête, C'est exact.
C'était sous le pont, a continué Jack.
Voilà les premières choses qui se sont passées, a dit Bob.
Maintenant, pour la première
fois, j'allais obtenir une image claire de la première Aktion. J'avais
besoin d'avoir le plus de détails possible à ce sujet. C'est à ce moment-là que
Ruchele avait été tuée.
La première Aktion allemande, a commencé Bob, qui
voulait que je comprenne la différence entre les tueries organisées des nazis
et les vendettas privées de certains Ukrainiens, ceux qui avaient vécu avec
leurs voisins juifs comme dans une grande famille, comme m'avait dit la
gentille vieille Ukrainienne à Bolechow, a eu lieu le 28 octobre 1941.
Au moment où il a prononcé ces mots, Meg a hoché la tête
pensivement vers la table. Puis, d'une voix lente et claire, elle a dit,
C'était un mardi.
Bob a poursuivi. Ils ont arrêté quelque chose comme sept
cents...
Jack et Meg l'ont interrompu simultanément. Mille, ont-ils
dit.
Mille, a repris Bob. Et ils les ont enfermés pendant
trente-six heures environ dans Dom Katolicki, le centre de la communauté
catholique, et ils les ont gardés là pendant que les Allemands buvaient sur
l'estrade et que les Juifs devaient rester agenouillés sur le sol, et ils se
sont soûlés et ils ont commencé à en abattre dans la foule. Et au bout de
trente-six heures, ils les ont emmenés dans des camions en dehors de la ville,
dans le champ de Taniawa, et ils avaient déjà fait creuser un grand trou, et
ils les ont tous abattus.
C'est ce que m'a raconté Bob, ce dimanche-là, le jour de
l'anniversaire de mon grand-père, quand Matt et moi avons fait la connaissance
de ces anciens habitants de Bolechow. Quand j'ai parlé seul avec lui, quelques
jours plus tard, il a dit, Je me souviens de sept cent vingt, mais tous les
autres disent que c'était mille. Je crois qu'ils avaient une planche au-dessus
du trou et ils les abattaient sur cette planche. A la mitrailleuse, je ne sais
pas. Tout le monde se souvient de ça un peu différemment, tout dépend de ce
qu'on a entendu et de ce dont on se souvient.
Comment, c'est ce que je voulais savoir, avaient-ils procédé
à l'arrestation de tous ces gens au cours de cette Aktion ? Je me
souvenais des histoires de ma famille, du fait que Shmiel avait figuré sur une
sorte de liste.
Bob a dit, Les Allemands allaient partout avec des policiers
ukrainiens, parce qu'ils avaient une liste au début. Sur la liste, a-t - il
expliqué, se trouvaient les noms des Juifs éminents de Bolechow : docteurs,
avocats, chefs d'entreprise. L'idée était de démoraliser la ville en éliminant
les citoyens importants.
Comment, ai-je demandé, les Allemands avaient-ils établi la
liste – comment savaient-ils qui était qui ? Les Allemands venaient
évidemment d'arriver dans la région et ils n'avaient pas eu le temps de se
familiariser avec Bolechow et ses habitants.
Bob a répondu que les Ukrainiens du coin accompagnaient les
officiers allemands partout, leur signalant qui était qui et où chacun vivait.
Je crois qu'ils étaient cent quarante ou cent soixante sur la liste et si les
gens n'étaient pas chez eux, comme mon père par exemple, ils
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