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Les disparus

Titel: Les disparus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Mendelsohn
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qu'il voulait un mâcher, un roi dans son village. Et
pourquoi ne pas se réjouir d'être appelé le król, quel que soit le ton
employé par ceux qui vous appellent ainsi ? Le voilà donc, marchant, faisant
son important, un homme qui aime qu'on le remarque, qui se réjouit d'être
quelqu'un dans sa ville, qui a très probablement pensé, jusqu'au bout, que
revenir de New York à Bolechow a été la meilleure décision qu'il ait jamais
prise.
    Plus tard, les choses se sont compliquées, et c'est à cette
période difficile qu'appartient le Shmiel des lettres, figure frappante, même
si elle est un peu moins attirante que la précédente plus grandiose, un homme
d'affaires entre deux âges, prématurément blanchi, le frère, le cousin, le mishpuchah de ses nombreux correspondants à New York qu'il a été obligé, avec le
temps, de supplier, de haranguer, de cajoler de façon désespérée et, il faut le
dire, un peu pathétique quand il essayait de trouver un moyen de sauver sa
famille ou une partie de sa famille, les enfants, et même une seule fille, la
chère Lorka (pourquoi elle ? Parce qu'elle était l'aînée ? Parce qu'elle
était la préférée ? Impossible de le savoir à présent).
    En tout cas, il est encore possible d'entendre la voix de
Shmiel à travers ses lettres. D'Ester, il reste très peu désormais – parce
que, il y a des années, dans l'appartement de mon grand-père ou de quelqu'un
d'autre à Miami Beach, je n'ai pas voulu parler à l'effrayante Minnie Spieler,
qui était, je m'en suis rendu compte trente ans plus tard, la sœur d'Ester,
puisque je n'avais pas pensé à le lui demander, ne la trouvant pas suffisamment
intéressante. Ayant maintenant parlé à toutes les personnes encore en vie qui
ont eu l'opportunité de voir et de connaître Tante Ester, même de façon vague,
je peux établir qu'il ne reste pratiquement rien de cette femme, à part
quelques photos et le fait qu'elle était très chaleureuse et sympathique. (Une
femme, je ne peux m'empêcher de le penser en considérant l'annihilation de son
existence –  annihilation peut sembler excessif, au premier abord,
mais j'emploie ici le terme au sens étymologique de réduire à rien –, qui serait morte, selon le cours naturel des choses, de, disons, un cancer de
l'intestin dans un hôpital de Lwów en, peut-être, 1973, à l'âge de
soixante-dix-sept ans, même s'il est impossible d'imaginer, parce qu'elle est
morte si jeune et il y a si longtemps, qu'elle puisse avoir la moindre
prétention sur le présent en appartenant si absolument au passé. Et pourtant il
n'y a aucune raison, à part la plus évidente, pour qu'elle n'ait pas été une
personne que j'aurais pu connaître, quelqu'un comme toutes ces autres
mystérieuses personnes âgées qui apparaissaient aux réunions familiales quand
j'étais enfant ; tout comme les quatre filles, qui seront toujours jeunes,
auraient été les « cousines polonaises » entre deux âges que nous
serions allés voir un été, disons, dans le milieu des années 1970, mes frères,
ma sœur et moi. Quand j'ai fait part de cette étrange idée à mon frère Andrew,
il est resté silencieux un moment et il a dit, Ouais, ça te fait penser que
l'Holocauste n'est pas quelque chose qui a simplement eu lieu, mais que c'est
un événement qui est toujours en cours.)
    Il reste donc très peu sur la face de la terre aujourd'hui
– une face que j'ai regardée souvent d'en haut, pendant les voyages que
j'ai faits pour découvrir quelque chose à son sujet – de ce qu'a été Tante
Ester pendant les quarante-six ans où elle a vécu, avant qu'elle disparaisse au
cours des premiers jours de septembre 1942. Elle était très chaleureuse,
très sympathique, avait dit Meg, le jour où nous nous étions réunis dans
l'appartement de Jack et de Sarah Greene. Quelques jours plus tard, lorsque
finalement, après de grands efforts de ma part pour la convaincre et la
cajoler, Meg a consenti à me rencontrer en tête à tête dans l'appartement de
son beau-frère, je lui ai demandé de me donner une idée de ce qu'une femme au
foyer très chaleureuse et très sympathique de Bolechow pouvait bien faire de
son temps, juste avant que la guerre change
    Meg est restée silencieuse un moment, pendant quelle
réfléchissait.
    En hiver, a-t-elle dit, les nuits étaient très longues. Chez
nous, ils avaient l'habitude de jouer aux cartes, mon père et ses amis. Et les
dames faisaient du crochet et du tricot.

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