Les disparus
train de se soûler avec de l'alcool
de cerise qu'ils avaient trouvé dans la cave. Ils étaient tellement occupés à
boire qu'ils n'ont même pas remarqué que des gens descendaient, et ces derniers
ont pu remonter immédiatement dans le grenier. Mais le bébé s'est mis à
pleurer. Ma belle-sœur n'avait plus de quoi l'allaiter ou quoi que ce soit pour
le distraire. Elle l'a couvert avec un oreiller et l'a étouffé. Un grand nombre
de juifs travaillaient dans les usines à ce moment-là. Mais ils ont été arrêtés
dans les usines, conduits en ville et ils étaient triés près de la mairie. Les
plus doués, selon l'avis des contremaîtres des usines, étaient relâchés, les
autres gardés. Très vite, ils ont été abattus sur la place et dans les rues.
Les murs et les pavés étaient littéralement couverts de sang. Après l'action,
les murs des maisons et les trottoirs ont été lavés à l'eau des robinets de la
mairie. Un épisode horrible a eu lieu avec Mme Grynberg. Les Ukrainiens et les
Allemands, qui sont entrés chez elle, l'ont trouvée en train d'accoucher. Les
larmes et les supplications des voisins n'ont rien pu faire et elle a été
emmenée en chemise de nuit et traînée devant la mairie. Là, quand les premières
douleurs du travail ont commencé, elle a été jetée sur un tas d'ordures dans la
cour de la mairie, avec une foule d'Ukrainiens autour d'elle qui faisaient des
plaisanteries, se moquaient d'elle pendant qu'ils la regardaient donner
naissance à un enfant. Celui-ci lui a été immédiatement arraché des bras, avec
le cordon ombilical encore attaché, et il a été jeté par terre — la foule l'a
piétiné pendant qu'elle se relevait, le sang coulant entre ses jambes, et elle
est restée comme ça pendant plusieurs heures contre le mur de la mairie, après
quoi elle a été emmenée à la gare avec les autres et embarquée dans un fourgon
à destination de Belzec. Dans la nuit qui a suivi l'action, les Ukrainiens ont
cherché tous les endroits à piller. Ils étaient pieds nus. Ils ont essayé
d'ouvrir la serrure de la niche dans laquelle nous étions enfermés et cachés.
Nos cœurs ont cessé de battre, nous étions morts. Mon enfant avait déjà cessé
d'émettre le moindre son. Au cours de l'action — en septembre 1942 — qui a duré
trois jours, 600 à 700 enfants ont été tués, et 800 à 900 adultes. Krasel
Streifer, qui avait à peu près 70 ans, a été abattue dans son lit, parce qu'elle
ne pouvait pas marcher. Ma belle-mère, Jenta Gelernter, âgée de 71 ans, est
morte aussi à ce moment-là. Elle a été traînée hors de son lit en chemise de
nuit ; ils ne l'ont pas autorisée à mettre autre chose. Ils l'ont abattue près
de la mairie parce qu'elle ne marchait pas assez vite. Le reste des Juifs qui
avaient été capturés, environ 2 000, a été envoyé à Belzec. Pendant le trajet,
Stem s'est échappée du train. Elle nous a raconté que d'autres gens s'étaient
échappés eux aussi. Elle nous a ensuite expliqué que pendant le trajet, dans
une gare, je ne sais plus où, ils avaient lâché de la vapeur brûlante dans un
wagon et les gens avaient été brûlés, s'étaient évanouis et avaient étouffé.
Les gens étaient terriblement assoiffés et la situation était particulièrement
pitoyable pour les enfants qui mouraient de faim et de soif. Mme Stem a sauté
du wagon, laissant derrière elle sa fille âgée de quatre ans. Cette même Mme
Stem avait été attrapée dans un abri, qui avait été repéré à cause des cris et
des gémissements de son enfant de deux ans. Lorsqu'ils avaient entendu les
Allemands et les Ukrainiens s'approcher, les gens qui étaient dans l'abri avec
Mme Stem avaient commencé à lui dire qu'ils allaient se faire prendre à cause
de son enfant. Elle l'avait alors couvert avec un oreiller et lorsque l'abri
avait été finalement découvert, l'enfant était mort, suffoqué. Les Siczowcy
ukrainiens, unités paramilitaires assistant les SS, avaient été envoyés de
Drohobycz pour participer à la seconde action. Pendant la marche jusqu'à la
gare de Bolechow pour être transportés à Belzec, les gens devaient chanter,
notamment la chanson « Ma Petite Ville de Belz ». Qui refusait de
chanter était battu jusqu'au sang sur les épaules et la tête, à coups de crosse
de fusil.
Voilà une esquisse du genre de choses qui se sont passées
pendant la seconde Aktion, épisode minuscule de l'Opération Reinhard
– dont l'un des
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