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Les disparus

Titel: Les disparus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Mendelsohn
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simplement tiré une balle dans la tête.
    (Ou pire, pas dans la tête. Vous auriez prié pour
tomber entre les mains des Allemands, m'a dit Meg, le jour où elle a finalement
accepté de me parler en privé, croyez-moi. Les Allemands pratiquaient le
coup de grâce, le Gnadelkugel – elle a fini par se souvenir du mot –,
mais les Ukrainiens vous tiraient dans l'estomac et il fallait parfois
quarante-huit heures pour mourir. Une mort horrible et lente.)
    Mais peut-être pas. Peut-être que la tante et l'oncle de ma
mère, et sa cousine enfant, ont survécu à la procédure de rassemblement. Dans
ce cas, nous le savons, ils ont été expédiés, après les journées de terreur
dans la cour de la mairie, les heures de cris et de coups, les têtes d'enfants
fracassées, le spectacle de Mme Grynberg, hébétée, le placenta sanguinolent coulant
entre ses jambes, ils ont été expédiés à travers la ville jusqu'à la gare,
passant devant la maison à la fausse cloison derrière laquelle se cachaient
Jack, Bob et leur père – et peut-être que, là, Shmiel, aussi hébété qu'il
ait pu l'être, a levé les yeux et reconnu la maison de Moses Grunschlag, un
homme de sa génération qu'il connaissait certainement, un homme d'affaires
plein de soucis comme lui et qui avait, lui aussi, des frères et des sœurs en
Amérique, lesquels, comme le frère de Shmiel, arrivaient au même moment à la
fin un peu mélancolique de leurs vacances d'été à Far Rockaway, dans l'État de
New York –, cachés et écoutant les pleurs et les cris, et les grognements
(et même le chant), dont une toute petite partie provenait des gorges de
Shmiel, d'Ester et de Bronia ; et puis forcés, à un moment donné, de monter
dans le fourgon à bestiaux.
    Dans la mesure où, à l'époque où j'ai parlé à ces quatre
personnes à Sydney, j'étais déjà allé à Bolechow, j'étais capable, sinon
d'imaginer ce que tout cela avait pu être pour eux, du moins de voir
l'arrière-plan de leur souffrance, de voir mentalement les bâtiments devant
lesquels ils sont passés pendant cette marche ultime à travers les rues de la
ville. Depuis la cour du Magistrat, ils ont descendu Dolinska, la rue
qui part vers le sud et finit par rejoindre le village de Dolina ; au bout de
deux cents mètres, ils ont tourné à gauche dans Bahnstrasse, la route longue et
poussiéreuse, un kilomètre environ, qui mène à la gare. J'ai fait ce parcours
moi-même. Ça m'a fatigué.
    Et ensuite ? De leur long et ultime voyage, la journée ou
les journées en train, dans les fourgons bondés et étouffants, il est possible
de connaître certains détails grâce au témoignage de Matylda Gelernter, que je
me suis procuré après m'être rendu en Israël et avoir roulé jusqu'à Jérusalem,
un jour : des détails qui ont été transmis à Mme Gelernter par la femme qu'elle
appelle uniquement « Stern », la femme qui a dû étouffer son enfant
de deux ans dans la cachette où elle se trouvait, puis, après avoir été
arrachée à cette cachette et contrainte de monter dans le fourgon à bestiaux, a
abandonné un autre enfant – peut-être un des enfants qui avaient étanché
leur soif en buvant leur propre urine – quand elle a réussi à sauter du train,
ce qui explique comment nous savons aujourd'hui certaines des choses qui se
sont passées à bord du train en direction de Belzec où se trouvaient Shmiel,
Ester et Bronia.
    En essayant de reconstruire ce que pourraient avoir été les
derniers jours ou le dernier jour de mes trois parents, je dois admettre comme
probable le fait que « Stern » a dû décrire avec bien plus de détails
ce qui s'est passé dans les fourgons à bestiaux que ne le rapporte Matylda
Gelernter dans sa propre description parce qu'elle n'y était pas elle-même et
que le but de son témoignage était de raconter des choses qu'elle avait vues de
ses propres yeux. Cet élément en tête, j'ai consulté d'autres sources sur les
conditions qui régnaient dans les fourgons à bestiaux à destination des camps
de l'Opération Reinhard, à la fin de l'été 1942. Je ne vais pas paraphraser ces
sources, je ne vais pas « décrire » comment c'était, je vais plutôt
laisser parler le récit d'un survivant, cité par Arad :
     
    Plus de cent personnes étaient entassées dans notre wagon...
Il est impossible de décrire le tragique de notre situation dans ce wagon de
marchandises entièrement fermé et sans air. C'étaient d'immenses

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