Les disparus
passeports, rien. Fous me laissez
m'occuper de tout ! Sa voix était posée, amusée, autoritaire,
pimentée par l'accent israélien quand il parlait l'anglais, les voyelles
citronnées et les consonnes bourdonnantes. Dehniel, m'appelait-il. Tous
mes fœux ! disait-il en partant ou en terminant une conversation
téléphonique
En 1973, peu de temps après ma bar-mitsva, mes parents l'ont
finalement pris au mot pour son invitation. J'étais heureux de les voir partir
: mon grand-père et Raya allaient nous garder tous les cinq pendant que mon
père et ma mère seraient absents. Qu'ils aient Israël. J'avais mon grand-père.
Mes parents avaient projeté ce voyage depuis longtemps,
parce que mon grand-père voulait que ma mère rencontrât son frère, son frère
adoré qu'il aimait plus que tout. A l'automne de 1972, quand l'organisation de
ma bar-mitsva pour le mois d'avril suivant a commencé à prendre forme, mes
parents ont aussi commencé à projeter le premier voyage à l'étranger, le voyage
en Israël, tant attendu et tant repoussé. Mais en décembre de cette année-là,
Oncle Itzhak est mort. Né avec le siècle, il avait soixante-douze ans. Ce fut
un choc dévastateur pour ma mère d'avoir été si près de la rencontre avec un
parent légendaire – quatre mois seulement aurait tout changé – et de
se voir dénier à jamais la possibilité d'établir un contact avec lui. Deux mois
après sa mort, des amis proches de la famille étaient partis pour Israël, et
comme c'étaient des amis intimes ils avaient passé un peu de temps avec Elkana.
Ils étaient revenus de ce voyage avec une précieuse cargaison : parmi les
nombreuses diapositives qu'ils avaient prises pendant leur séjour, il y en
avait quelques-unes de la tombe d'Itzhak. Un soir, peu de temps avant le départ
de mes parents pour Israël, nous avions organisé une projection dans notre
salle de séjour et là, sur les murs blancs immaculés de notre maison, était
apparu ce qui avait été ma première perception du nom de « Jäger »,
tel qu'il était inscrit en hébreu sur une pierre tombale – perception que
je n'aurais pas de nouveau avant trente ans ou presque, lorsque dans le
cimetière en friches de Bolechow nous tomberions par hasard sur la tombe de la
cousine éloignée de mon grand-père et d'Itzhak, Chaya Sima Jäger, née Kasczka.
Sur le mur de la salle de séjour de mes parents,
s'affichaient, très agrandies, les lettres suivantes :
Très peu de temps après ma bar-mitsva, à l'occasion de
laquelle ma voix s'était brisée de façon si humiliante sur les derniers mots de
ma haftarah, mes parents s'étaient envolés pour Tel-Aviv. Sur ce voyage,
il y a naturellement de nombreuses histoires. Ma mère aime raconter, par exemple,
comment elle et mon père, tout comme l'avait promis Elkana des années
auparavant, s'étaient vu épargner la queue à la douane et avaient été emmenés
dans une voiture qui les attendait ; l'affection instantanée qu'avaient
échangée mon père si cérébral et la vieille Tante Miriam, l'intellectuelle
polyglotte dont le sionisme fervent, nous le savions, avait été la cause du
salut de sa famille ; les visites secrètes de nuit dans les quartiers arabes où
les restaurants étaient sans égal, les nuits sans fin avec les amis dans la
cosmopolite Tel-Aviv (c'était choquant pour moi d'entendre ces histoires parce
que, n'ayant pas vraiment eu la curiosité de lire quoi que ce fût sur le sujet,
je croyais encore que le pays entier n'était qu'un océan d'immeubles d'habitation
en béton). Et elle parlait de leur visite à Haïfa, où vivaient Tante Miriam et
son autre enfant, Bruria, la sœur d'Elkana – Miriam à l'étage et Bruria et
sa famille au rez-de-chaussée –, et de la façon dont, alors que différents
groupes d'amis et de parents de Miriam et de Bruria venaient rendre visite aux
cousins américains, elle (ma mère) montait et descendait les escaliers, comme
le personnage d'une farce, montait et descendait toute la journée, pour
s'assurer de passer le plus de temps possible avec chaque groupe de parents. Un
détail en particulier avait capté mon intérêt. Oh, Daniel, avait dit ma
mère, lorsqu'elle et mon père avaient appelé brièvement d'Israël pour voir
comment nous allions, tu devrais voir l'album de photos de Tante Miriam !
Elle a la photo de mariage de Tante Jeanette, celle que j'ai perdue, elle porte
une robe entièrement en dentelles que les Mittelmark lui
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