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Les disparus

Titel: Les disparus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Mendelsohn
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souvenirs
affluaient, et elle a ajouté, Cette image, je ne peux pas l'oublier.
    Shlomo l'a brusquement interrompue.
    Malcia, a-t-il dit, tu as quelques années de plus que moi.
Et tu as vu ces choses... les réfugiés...
    Oh, les réfugiés ! a-t-elle dit en couvrant son visage
de ses mains à nouveau.
    Et tu te souviens qu'il y a eu deux années de tranquillité,
de 1939 à 1941, a poursuivi Shlomo. Et puis, tu te souviens que les gens ont su
que les Allemands allaient venir.
    Malcia a hoché la tête et Shlomo a ajouté sur ce ton
emphatique qu'il a, Alors pourquoi nous n'avons pas fui comme fuyaient ces
réfugiés ?
    Malcia a eu un sourire grave. Pourquoi, pourquoi ?Ahhh...
Parce qu'on ne peut pas quitter une maison ! Comment quitter sa maison
? !
    Comment quitter sa maison ? Je me suis alors souvenu
de quelque chose d'autre dans les lettres de Shmiel – comment, le temps
passant, il oscillait entre des fantasmes désespérés de fuite et un refus
orgueilleux de s'en aller. Il allait écrire au président Roosevelt,
annonçait-il dans une lettre ; il allait vendre ce qu'il avait, tout, pour les
faire sortir ; pour faire sortir les filles ; pour faire sortir une fille. La
chère Lorka. Et cependant, dans la même lettre parfois, il changeait
d'avis. Mais je souligne pour vous tous que je ne veux pas partir d'ici sans
avoir de quoi vivre – inversement, j'ai ici, grâce à Dieu, tout ce qu'il
me faut... Je sais maintenant que je ne pourrais pas avoir une telle vie très
rapidement en Amérique. Je me suis interrogé, autrefois, sur ces
changements d'humeur extravagants, mais évidemment c'était il y a des années,
quand j'étais adolescent et jeune homme, avant d'avoir une vie, une maison, des
enfants. Souvent, lorsque je parle de l'Holocauste à certaines personnes, de ce
que j'ai découvert dans les lettres de mon grand-oncle, sa compréhension
tardive du fait que son monde était en train de se refermer sur lui, ses
efforts désespérés pour s'en échapper, je m'aperçois que ceux qui ont bénéficié
d'une perspective historique disent ce que Shlomo venait de dire à l'instant
– même si la question un peu furieuse de Shlomo était provoquée par le
chagrin et non par la bonne volonté complaisante qui naît de l'évaluation des
crises historiques à partir du confort d'une vie sans danger. On se demande
pourquoi ils n'ont pas lu ce qui était écrit sur les murs, se plaisent à
dire ces personnes. Mais en vieillissant, je ne m'interroge plus beaucoup,
vraiment. Je ne m'interroge plus et, je m'en apercevais maintenant, Malcia ne
l'avait pas fait non plus.
    Comment quitter sa maison ? !
    Malcia s'est levée pour aller faire quelque chose dans la
cuisine ; nous n'avions pas encore pris de dessert ! s'était-elle écriée.
Pendant qu'elle y était, Shumek et Shlomo ont parlé rapidement en yiddish de leurs
souvenirs du temps de guerre. J'ai essayé de suivre, mais ils parlaient trop
vite. A un moment donné, j'ai entendu Shlomo demander à Shumek quelque chose à
propos des Yiddishpolizianten, des milices juives qui avaient été créées
dans chaque ville et contraintes, souvent, de faire le sale boulot des
occupants : arrêter un certain nombre de gens, retrouver tel ou tel Juif,
l'arrêter et l'emmener dans un endroit dont il ou elle ne reviendrait jamais.
J'avais lu, et maintenant j'en entendais parler, que la police juive était
souvent redoutée et détestée par les gens qui avaient été autrefois des voisins
ou même des amis. Anna Heller Stern avait eu une réaction très forte, deux
jours plus tôt, lorsque le sujet de la police juive était venu dans la conversation. J'avais plus peur d'eux que de n'importe qui d'autre, avait-elle dit.
Mais alors même qu'elle avait dit cela, je m'étais dit : si j'avais pensé
pouvoir sauver ma famille en rejoignant la police juive, est-ce que je l'aurais
fait ? J'ai pensé à mes enfants et j'ai refusé d'émettre des jugements.
    En tout cas, comme le disait maintenant Shumek à Shlomo, la
police juive était loin d'être indispensable. Und vuss hut zey
getin ? Zey hutten zi alle geloysht.
    Et qu'est-ce qu'ils ont fait ? Ils les ont liquidés, eux
aussi.
    C'est dans ce contexte que Shlomo a demandé ce qu'étaient
devenus deux de ces policiers qu'il avait connus. Ils parlaient vite et je n'ai
pas pu retenir les noms.
    Es is oykh geloysht geveyn ? a demandé
Shlomo. Et il a été liquidé, lui aussi ?
    Shumek, à cet instant précis, avait une expression

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