Les disparus
Panique,
peur, tension.
Malcia a dit, Tous les ans, il doit présenter ce certificat
pour prouver qu'il est en vie !
Matt a fait un grand sourire et dit, Demande-lui comment il
prouve qu'il est en vie !
Tout le monde a ri, mais derrière la plaisanterie rôdait une
histoire sinistre et compliquée, et nous le savions tous. Peu après, Shumek,
âgé de quatre-vingt-neuf ans, nous a emmenés dans sa voiture pour voir le
magasin de chaussures que Malcia et lui avaient ouvert en 1950, et Matt a
commencé à prendre des photos.
La tristesse pesait toujours, deux jours plus tard, quand
nous sommes allés à Haïfa pour prendre des photos de Josef Adler.
Nous avions passé la première moitié de ce samedi chez
Elkana pour une autre réunion familiale gigantesque, un déjeuner auquel un plus
grand nombre encore que la dernière fois, semblait-il, de cousins germains, de
cousins au deuxième et troisième degré, avaient pu venir. Cette fois, la sœur
d'Elkana, Bruria, était venue de Haïfa. C'était une femme à la charpente
délicate, aux cheveux noirs coupés à la page. Elle avait apporté l'album de
photos légendaire de sa mère, celui à propos duquel, trente ans plus tôt,
pendant le voyage de mes parents en Israël, ma mère en pleurs s'était exclamée, Oh, Daniel, tu devrais voir les photos que possède Tante Miriam, la photo de
mariage de Tante Jeanette, sa robe est entièrement en dentelle ! Mais
maintenant, assis dans la salle de séjour d'Elkana, en regardant enfin l'objet
de légende, je me rendais compte que chaque photo – ou presque – qui
s'y trouvait, à l'exception de cette photo de mariage (qui, naturellement, ne
pouvait pas suggérer les tragédies et les drames qui avaient conduit à ce
mariage-là), était un double d'une photo que nous avions déjà à New York. Il
était évident que Shmiel avait envoyé à tous ses parents des copies des
différentes photos de sa famille tout au long de ces années, exactement comme
mes frères, ma sœur et moi le faisons aujourd'hui. A cette déception s'ajoutait
la consternation que j'ai ressentie en passant en revue un certain nombre de
photos anciennes, rognées, que je ne reconnaissais pas, sans la moindre légende
ou inscription, dont une très ancienne d'un homme à l'allure edwardienne qui,
ai-je pensé follement, pouvait être mon arrière-grand-père Elkune Jäger. Quand
j'ai montré ces images mystérieuses à Bruria, dont l'anglais était aussi limité
que mon hébreu pour la conversation, elle a secoué la tête tristement et haussé
légèrement les épaules. Tous ceux-là, me suis-je dit, en regardant ces visages
muets, tous ceux-là sont absolument perdus, impossibles à connaître.
Je me suis aussi aperçu, en regardant le célèbre album de
Tante Miriam, que mon grand-père avait eu en sa possession bien plus de photos
de la famille de Shmiel que n'en avait eu Oncle Itzhak, apparemment. Il m'est
venu à l'esprit deux explications possibles : la première, c'était que Oncle
Itzhak, ayant vécu et travaillé avec Oncle Shmiel, n'avait pas besoin d'avoir
des souvenirs de son frère aîné ; la seconde, c'était que Oncle Itzhak étant
parti pour la Palestine entouré d'un parfum de Skandal !, les deux
frères n'avaient plus été en relation par la suite. En m'asseyant sur le sofa
d'Elkana, tout en réfléchissant à ces questions, une phrase d'une lettre de
Shmiel m'est revenue en mémoire : Qu'est-ce que le cher Isak vous écrit de
Palestine ? Je n'avais jamais demandé jusqu'à présent pourquoi Shmiel, en
Pologne, avait à demander des nouvelles d'Itzhak, en Palestine, à mon
grand-père, qui était à New York. En même temps, Shmiel appelle Itzhak der
lieber Isak, « le cher Itzhak », et donc à quel point étaient-ils
vraiment brouillés ? Impossible à savoir.
Après en avoir terminé avec l'album, nous sommes allés dans
la grande salle de réception pour déjeuner. Une fois encore, le repas a
commencé avec un toast d'Elkana, qui s'est lentement levé, en me regardant avec
ses yeux plissés de pacha, ce regard amusé et informé qu'il adoptait pour faire
ses déclarations en matière de politique, cet air arrogant et sûr de soi dont
je me souvenais depuis l'enfance, ou pour vous dire adieu – Ils vont le
trouver à Tikrit ! Allez, adié ! –, a dressé le sourcil en
même temps qu'il a levé son verre et dit, L'chaim et au livre de Déniel il
doit le finir déjà et puis revenir en Israël juste pour
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