Les disparus
Dieu !
L 'histoire de Klara avait
donc été racontée, finalement. En la regardant contempler Jonathan, je ne me
faisais guère d'illusions sur le fait que sa décision de raconter tout ce qui
s'était passé dans l'ordre dans lequel cela s'était passé – ou presque
– n'avait pas grand-chose à voir avec moi. C'était, de toute évidence,
pour Jonathan qu'elle l'avait fait : pour ce jeune homme intelligent et sérieux
qui m'avait dit, au moment où nous prenions place autour de la grande table
ronde, qu'il savait trop peu de choses sur ce que sa grand-mère avait vécu.
Dans un anglais sans accent qu'il parlait presque couramment, il avait dit, Je
ne connais que des fragments, pas toute l'histoire.
Nous étions donc allés en Suède, comme nous avions promis
que nous le ferions à une Meg incrédule. Et pourtant nous n'avions toujours que
des fragments d'une histoire qui, cela devenait patent, ne serait jamais
complète. Elle ne veut rien dire dans un sens ou dans l'autre, avait dit
Ewa, lorsque nous avions demandé à Klara laquelle des deux versions
incompatibles de l'histoire de Frydka lui paraissait la plus plausible, celle
où elle s'était enfuie chez les partisans ou bien celle où Ciszko l'avait
cachée chez lui. Enfin, elle pense que la seconde — avec le grenier et
quelqu'un qui a prévenu les Allemands — est plus proche de la vérité. La
première, celle des partisans, elle n'en a jamais entendu parler.
Ce n'est qu'un an après mon retour à New York à la suite de
ce voyage, un soir que je regardais l'enregistrement vidéo de cette interview
pour la troisième ou quatrième fois, que je me suis rendu compte que je n'avais
jamais parlé d'un grenier.
Comme je n'aime pas du
tout retourner vers les endroits que je viens de visiter, c'était peut-être à
cause de mon récent séjour en Israël ; ou à cause du voyage épuisant à
Stockholm ; ou encore à cause de la confession inattendue et franche de Klara
du fait qu'elle avait souffert psychologiquement toute sa vie ; ou peut-être
encore à cause de l'impression, après trois jours de conversation avec elle,
qu'il n'y avait plus grand-chose à apprendre ; peut-être que ce sont toutes ces
raisons qui ont donné à notre semaine en Israël une aura de mélancolie.
Il y avait aussi une autre raison, raison que nous ne
pouvions pas savoir avant d'atterrir à l'aéroport Ben Gourion et d'arriver à
notre hôtel. Après que Matt et moi nous sommes installés dans nos chambres, la
première chose que j'ai faite a été d'appeler Shlomo : je voulais avoir la
confirmation de nos différents rendez-vous pour les jours à venir, qu'il avait
organisés si diligemment, comme d'habitude. C 'est
à ce moment-là qu'il m'a appris que Dyzia Lew était retournée en Biélorussie
quelques jours auparavant seulement.
Quoi ? J'étais furieux, mais j'ai essayé de ne pas le
montrer. Nous avions organisé tout ce voyage pour qu'il coïncide avec le séjour
de Dyzia en Israël.
Que s'est-il passé ? ai-je demandé, en essayant de contrôler
ma voix.
Le traitement ne marchait pas, a dit Shlomo. Alors elle est
rentrée chez elle.
Il n'avait pas besoin d'ajouter, Pour mourir. De toute
façon, ce n'était pas la faute de Shlomo. Il n'y avait rien d'autre à faire que
de continuer. J'ai donc tenu ma langue et nous avons examiné l'itinéraire qu'il
avait organisé. Mais une certaine tristesse pesait plus que jamais sur ce
séjour.
Elle était présente quand nous sommes retournés à Beer Sheva
pour photographier Shumek et Malcia Reinharz. Une nouvelle fois, Malcia avait
préparé un énorme repas ; une nouvelle fois, nous nous sommes assis pour
bavarder, et elle a souri et parlé dans son anglais maladroit et convaincant à
la fois, et nous avons été gavés de nourriture. Une nouvelle fois, Malcia nous
a fait part de ses souvenirs, pour le compte de Matt, cette fois-ci : Shmiel
était toyb, sourd, Ester avait une si jolie paire de jambes ! Elle n'avait connu que deux filles, ils formaient une famille si gentille et si
belle. Mais, cette fois, elle avait l'air, elle aussi, d'être abattue : elle
était d'une humeur beaucoup plus pensive que lorsque je l'avais interviewée en
juin, et elle avait tendance à finir ses phrases par un petit soupir. Elle
continuait à se souvenir de choses nouvelles, sans aucun ordre particulier.
Elle s'était souvenue, par exemple, des jeux de cartes auxquels jouaient ses
parents ; le gin-rummy, le soixante-six, un
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