Les disparus
magnifique,
les fruits, les lits propres et durs, le travail honnête –, l'oreiller de
Bumo était humide, nuit après nuit. Sa famille lui manquait et il avait
compris, à présent, qu'il était très loin de chez lui. Tous les soirs, il
sortait ses trois photos et leur parlait.
Très vite, ils ont
entendu dire que les Allemands arrivaient et, après en avoir discuté, les deux
jeunes gens ont décidé que, puisqu'ils n'avaient pas attendu les Allemands chez
eux à Bolechow, ils n'allaient pas rester à Grozny non plus, en dépit de
l'environnement incroyablement idyllique. Les gens du coin et leurs camarades
de travail furent tristes de les voir partir : ils étaient de bons travailleurs
et presque tout le monde était dans l'armée. Mais les garçons étaient
déterminés. Ils ont empoché leur salaire et se sont remis en route. Parfois,
ils montaient dans un train. Le paysage était magnifique, se souvenait Adam.
Comme un Kurort. Comme une station thermale. Les deux jeunes gens ont
continué en direction de l'est, à travers ces paysages d'une beauté
époustouflante jusqu'à la mer Caspienne.
C'est à peu près au moment où Bumo et Ignacy ont traversé la
minuscule république soviétique du Daghestan que Ruchele Jäger a été contrainte
d'avancer nue sur une planche suspendue au-dessus d'une fosse rapidement
creusée dans un endroit appelé Taniawa.
A Makhatchkala, la grande ville portuaire du Daghestan qui
se situe sur la rive occidentale de l'immense mer Caspienne, Bumo et Ignacy ont
retrouvé des milliers de réfugiés. Il était très difficile de trouver de la
nourriture ; personne n'avait le moindre argent. En dépit de ces conditions,
Adam et Ignacy, sans beaucoup plus que les vêtements qu'ils portaient et, bien
sûr, les trois précieuses photos, étaient en admiration devant les habitants du
coin, dont le vêtement de tous les jours incluait le port d'énormes sabres.
Des sabres ! Des énormes épées ! Ils avaient le
droit de se balader avec ! s'est exclamé Bumo. Encore aujourd'hui, il
secouait la tête en signe d'incrédulité.
La ville de Makhatchkala était, pensait Bumo, d'une grande
beauté, construite en cascade descendant graduellement vers la mer. Pendant
trois ou quatre semaines, ils avaient traîné là, en attendant d'avoir la chance
de monter à bord d'un bateau qui leur ferait traverser la mer ; ils voulaient
continuer à aller vers l'est. Bumo et Ignacy passaient des heures et des
journées entières à rôder dans le port, attendant de pouvoir monter à bord d'un
bateau. Finalement, ils avaient décidé que, au cas où un seul pourrait partir,
il devrait le faire et attendre de l'autre côté l'arrivée de son ami. C'était
ce qui s'était passé. Bumo était parti le premier, clandestinement. Il avait fallu
deux jours, dans des conditions intolérables, pour atteindre la rive opposée de
la Caspienne, la ville portuaire de Krasnovodsk au Turkménistan. Il faisait une
température de quarante-cinq degrés. C'était, a dit Adam, comme le Sahara.
Krasnovodsk était connue comme la ville sans eau, parce que l'eau de la mer
Caspienne est salée. Imbuvable. L'eau était donc rationnée.
A peu près au moment où Bumo explorait, dans une chaleur
suffocante, cette ville privée d'eau, Frydka Jäger réussissait à se faire
employer à l'intérieur d'une fabrique de barils, ce qui était un moindre mal,
compte tenu de la sévérité de l'hiver dans les Carpates.
A Krasnovodsk, le cousin éloigné de Frydka, Bumo Kulberg,
avait trouvé un emploi de docker sur le port, déchargeant des navires en
attendant l'arrivée d'Ignacy Taub.
Au bout d'un mois, Ignacy était arrivé. Alors qu'ils
auraient pu tous les deux trouver du travail à Krasnovodsk, ils avaient
continué à voyager. Il faisait trop chaud et il y avait ces problèmes d'eau.
Ils savaient que la chose la plus importante était de rester en bonne santé.
Ils avaient donc décidé de poursuivre en direction d'Ashgabat, à la frontière
du Turkménistan et de l'Iran. Ils s'étaient glissés à bord de différents trains
et avaient ainsi pu traverser le terrible désert de Karakoum, dans le
Turkménistan central, un endroit tellement désolé que les gares, très rares,
qu'ils avaient vues ne portaient pas de noms mais des numéros.
Ils étaient arrivés à
Ashgabat dans la soirée. Là encore, même dans un endroit aussi éloigné de tout,
il y avait des réfugiés partout : des Ukrainiens, des Russes
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