Les disparus
adresse donnée sur ces centaines de
certificats de naissance et de décès qu'Alex m'avait envoyés, des années
auparavant, mais qu'il avait déménagé dans les années 1930 dans une grande
maison neuve de la rue Dlugosa. Avec le temps, Jack et les autres, en
Australie, en Europe et en Israël, avaient confirmé cette information et
dessiné des cartes pour que je puisse repérer précisément l'endroit de la rue
– juste en face du Petit Parc – et de la maison elle-même, la
quatrième sur la droite en partant du début de la rue. Mais la quatrième maison
(et même la cinquième et la sixième) dans la rue qui correspondait plus ou
moins à la rue Dlugosa sur la carte de Jack, qui s'appelait désormais Russka,
était une sorte d'énorme grange, très longue et très ancienne, qui occupait
apparemment plusieurs lots. Il était évident qu'il n'y avait jamais eu de
maison à cet endroit. Nous avons commencé à descendre la rue, en nous éloignant
du Petit Parc. Cette marche à travers la ville était, je dois l'admettre,
beaucoup plus plaisante qu'elle ne l'avait été lors de la première visite,
lorsque Andrew, Matt, Jen et moi avions pataugé dans la boue sous la pluie. Il
n'était pas encore onze heures du matin et l'atmosphère était déjà chaude. Nos
pas crissaient dans la poussière et les graviers de la rue. Chaque maison,
semblait-il, avait un long jardin à l'arrière rempli de pommiers, de pruniers
et de cognassiers. Des chiens aboyaient paresseusement. Alex a arrêté une
femme, une jeune femme, et lui a demandé si elle connaissait une personne âgée
qui vivait dans le quartier qui aurait pu nous indiquer l'endroit où se
trouvait une rue qui autrefois s'appelait Dlugosa. Ils ont bavardé une minute
et Alex a agité le bras pour nous faire signe, à Froma et à moi, de repartir en
arrière. Nous devons revenir vers le parc, a-t-il fini par dire. Il y a un
vieil homme qui vit au début de la rue.
La femme nous a conduits vers la maison et a pointé le doigt
vers elle. Un homme trapu, le visage slave et les cheveux blancs bien fournis,
plaqués en arrière d'un front bronzé, était assis sur une sorte de chaise
roulante motorisée dans le jardin qui se trouvait devant la maison. Toutefois,
lorsqu'il nous a vus approcher, il s'est levé. Alex et lui se sont parlé. Il
paraissait ne rien savoir au sujet de la rue Dlugosa. Alex a fait un rapide
clin d'œil et a basculé la tête sur le côté, l'air de dire, Allons-nous-en
– un tic que j'avais fini par reconnaître comme sa façon de signaler
que nous perdions notre temps et que nous ferions mieux de continuer —, quand
le vieil homme a salué bruyamment quelqu'un qui descendait la rue en provenance
de l'endroit dont nous venions. Nous nous sommes tournés vers lui. Stepan, a
dit le vieil homme. Ce Stepan s'est avancé à pas lents jusqu'à nous et a serré
nos mains d'une poigne ferme. Il portait une chemise à carreaux gris et bleus
d'ouvrier et une casquette d'autrefois. Lorsqu'il a parlé, on a pu entendre le
son d'un léger chuintement, presque un bourdonnement. Il n'avait pas de dents
de devant, ce qui ne l'empêchait nullement de sourire souvent. Il avait la peau
aussi brune et parcheminée qu'une vieille selle.
Alex a répété ce qu'il venait de dire à l'autre homme. Nous
cherchions la rue Dlugosa, a-t-il dit. Nous cherchions la maison du grand-oncle
de cet Américain, un Juif qui a vécu à Bolekhiv, à Bolechovv, avant la guerre.
Shmiel Jäger.
Jäger ! s’est exclamé Stepan. Il s'est mis à
parler rapidement à Alex.
Alex, dont le large visage était déjà rouge et transpirant à
cause du soleil, a fait un grand sourire. Il m'a regardé et a dit, Il dit que
son père était un chauffeur de Shmiel Jäger !
Ah, vraiment ? ai-je dit. Et c'était, je m'en suis rendu
compte, un contraste de plus entre 2001 et 2005. En 2001, Jen et moi avions
baissé la tête et pleuré simplement parce que nous avions rencontré quelqu'un
qui avait connu Shmiel et sa famille, sans les connaître vraiment : cela
paraissait alors à ce point impossible qu'il pût encore exister des gens qui
pouvaient se souvenir d'eux. Mais à présent j'avais parlé à tant de gens, de
ceux qui les avaient véritablement connus. Ainsi écoutais-je Stepan avec
intérêt, mais sans excitation.
Jäger, tak, disait Stepan. Il parlait et Alex faisait
une traduction simultanée.
Jäger avait un camion. Dans ce camion, il transportait des
marchandises entre
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