Les disparus
châtiment
qu'ils subissent, il est curieux de constater que le péché pour lequel les
habitants de Sodome et de Gomorrhe sont exterminés n'est jamais véritablement
nommé, et moins encore décrit en détail, dans parashat Vayeira . Même s'il existe, comme nous
l'avons vu, une forte insinuation que le péché est de l'ordre d'une
transgression sexuelle, avec des pratiques très éloignées des prescriptions
données dans le Lévitique, texte dont nous ne nous occupons pas ici, il n'y a
vraiment rien dans le texte biblique qui explique pourquoi les cités doivent
être détruites : Dieu annonce tout simplement à Abraham, et sans prévenir, que
« le cri contre Sodome et Gomorrhe est bien grand » et que leur péché
– sans être nommé – est « bien grave ». Pour défendre Dieu, dont
le goût pour l'annihilation totale ainsi que pour la création a été bien
établi, au point où nous en sommes de la Genèse, Rachi s'attarde sur le fait
que Dieu annonce qu’Il « descendra » pour jeter un coup d'œil aux
cités de la plaine, afin de s'assurer que le « cri » qu'il a entendu
est en fait justifié. « Cela, déclare le sage français, a appris aux juges
à ne pas prononcer une condamnation dans des affaires capitales sans avoir vu
par eux-mêmes », ce qui est une pensée séduisante, même s'il est sans
doute juste de dire que les juristes modernes vont probablement s'attarder sur
le fait que, dans ce cas précis, les condamnés ne semblent pas avoir été
informés des charges qui pèsent contre eux – ces charges, du moins dans le
texte dont nous disposons, ne sont ni nommées ni prouvées, ce qui est un peu
inquiétant lorsque l'accusé est une population entière.
Se déroule alors un des échanges les plus étranges dans
le vaste catalogue des dialogues épineux entre les patriarches et Dieu dans la
Torah. Alors que les anges exterminateurs sont en route vers les cités du mal,
Abraham confronte Dieu en lui faisant part d'un souci qui pourrait être celui
de n'importe quel lecteur contemporain. Ce qui inquiète Abraham est ce qui a inquiété
certains commentateurs à d'autres moments en constatant le caractère absolument
implacable des châtiments de Dieu (comme, par exemple, dans le passage de Noach
qui présente l'éventualité que des innocents – disons, des enfants
– puissent être noyés dans le Déluge) : qu'en est-il des gens qui ne sont
pas blâmables, qui vivent dans les cités que Dieu a vouées à une extermination
inéluctable et qui, compte tenu de l'ampleur de l'oblitération, sont très
susceptibles de disparaître ? Qu'adviendra-t-il des, disons, cinquante
personnes innocentes qui vivent dans les cités pécheresses de Sodome et de
Gomorrhe (cinquante, comme nous le savons – tout comme
quarante-huit –, n'étant qu'une fraction minuscule de la population de la
ville entière). Ne serait-il pas sacrilège, soutient Abraham, pour Dieu
lui-même de châtier l'innocent en même temps que le coupable ? Ne serait-ce pas
injuste ? Le Dieu de toute la terre devrait-il commettre une injustice ?
Dieu prend immédiatement en considération l'argument de
son prophète et lui assure que s'il y avait seulement cinquante hommes bons
dans Sodome, il épargnerait l'endroit entier («l'endroit entier», comme Rachi
prend la peine de l'expliquer, soucieux qu'il est de suggérer que Dieu est
généreux sans nécessité, se réfère non pas seulement à Sodome mais aux autres
cités de la plaine, puisque Sodome est une « métropole »). Peut-être
inquiété par la rapidité de la réponse de Dieu — quiconque a marchandé ne se
sent pas en sécurité quand la partie adverse accepte trop facilement les termes
posés —, Abraham presse un peu son Créateur et essaie de descendre à
quarante-cinq : Dieu épargnerait-il Sodome (et l'endroit entier), demande-t-il,
s'il n'y avait que quarante-cinq personnes justes ? Dieu accepte :
quarante-cinq. Et ils continuent ainsi, de quarante-cinq à quarante, de
quarante à trente, de trente à vingt, de vingt à dix. Abraham n’abandonne son
marchandage agressif qu'après avoir obtenu de Dieu la promesse qu ' il ne
détruira pas la métropole, même s'il ne s'y trouve que dix personnes justes. A
la fin, les cités sont détruites, les luxueuses et décadentes cités de
l'Orient, avec tous leurs habitants, les jeunes, les vieux, les malades, les
idiots, et même le nouveau-né au sein de sa mère probablement, même si le
texte, de
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