Les disparus
rien dire des révélations sur les opérations de
camouflage du gouvernement pour protéger de hauts fonctionnaires antisémites, a
constitué un scandale explosif et une source de discorde dans l'histoire de la
France et de l'Europe modernes, l'atmosphère conflictuelle et fratricide étant
parfaitement résumée dans le fameux « J'accuse ! », lancé comme
un défi par le romancier Emile Zola au président de la République, à la une du
journal L'Aurore, le 13 janvier 1898, qui était un jeudi. La couverture
de l'affaire par les journaux a été, en fait, très large à travers toute
l'Europe, fait qu'il était peut-être utile de mentionner ici, puisque, parmi
les journalistes étrangers couvrant le procès, se trouvait un jeune journaliste
autrichien, Theodor Herzl, qui devait devenir le fondateur du mouvement
sioniste moderne et qui a, par la suite, déclaré que c'étaient son expérience
de l'affaire Dreyfus et son contact avec l'antisémitisme officiel révélé au
cours des débats qui avaient galvanisé sa conviction sioniste : la seule
solution au problème de l'antisémitisme européen consistait dans la création
par les Juifs d'une nation bien à eux – c'est-à-dire d'un endroit dont
ils ne pourraient plus être chassés).
Cependant (pour revenir au XIV e siècle), il y avait d'autres
endroits où aller, et il est tout à fait possible que certains des Juifs qui
avaient été tout d'abord expulsés par les Anglais, puis par les Français, aient
décidé de traverser les Pyrénées pour aller, disons, en Espagne. Et il est parfaitement
possible qu'ils y aient prospéré, même s'il faut dire que le répit n'a pas duré
; et, en effet, il y a encore deux dates intéressantes à cet égard, qui sont le
30 mars et le 30 juillet 1492, la première étant le vendredi de la publication
de l'édit d'expulsion signé par Ferdinand et Isabelle, bien connus des élèves
américains comme les mécènes de Colomb, mais moins, je le soupçonne, comme les
auteurs de ce document légal particulier, la seconde étant le lundi de sa prise
d'effet, condamnant ainsi quelque deux cent mille Juifs à s'exiler – même
s'il faut préciser que des dizaines de milliers ont été assassinés alors qu'ils
tentaient de partir, certains par d'avides capitaines de navire espagnols qui
les ont jetés par-dessus bord après avoir empoché le prix exorbitant de leur
passage, d'autres par des Espagnols avides qui avaient entendu dire que les
Juifs avaient avalé de l'or et des bijoux et qui les ont assassinés sur les
bords des routes. Nous savons, toutefois, que de nombreux Juifs espagnols en fuite
ont pu arriver à bon port, ayant été invités par le tolérant et avisé sultan
ottoman, Bajazet, pour faire progresser son royaume ( Comment pouvez-vous
dire de Ferdinand d'Aragon qu'il est un roi sage, ce Ferdinand qui a appauvri
son propre pays et enrichi les nôtres ? est-il censé avoir dit). Et, en
effet, bon nombre de ceux qui se sont arrêtés avant Istanbul ont, eux aussi,
bien prospéré. Il faut pourtant noter que presque tous les descendants des
Sépharades en fuite qui ont fini par s'installer à Thessalonique, la grande
ville byzantine, puis ottomane, de ce qui est maintenant la Grèce
septentrionale – la quasi-totalité des soixante mille Juifs qui étaient
les descendants directs de ces réfugiés et qui étaient vivants au début des
années 1940 – ont péri, inéluctablement, au moment de l'entrée des
colonnes armées allemandes dans cette ville, le 9 avril 1941, un mercredi (le
premier convoi de vingt-cinq mille environ, chiffre relativement modeste au
train où allaient les choses, a quitté la gare de Salonique le matin du 14 mars
1943, un dimanche). Et mon ami peut vous dire que le 29 octobre de cette même
année atroce de 1941, qui, comme nous allions l'apprendre après notre visite à
Bolechow, était le jour où a été tuée une des Jäger, en partie à cause du fait
que Shmiel désirait être le premier de son village et vivait encore à
Bolechow après le début de la Seconde Guerre mondiale, ce 29 était un mercredi.
Il est donc remarquable de voir comment certaines mémoires
humaines sont faillibles, alors que d'autres paraissent aussi fiables que des
machines.
C 'était donc un lundi que Shmiel
s'était assis pour écrire la lettre.
Bolechów, 16 janvier
1939
Cher Joe et chère Mina et chers enfants,
Tu dois te demander, cher Cousin, pourquoi je t'écris
après
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