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Les disparus

Titel: Les disparus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Mendelsohn
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en
fait, une paraphrase du mot «péché», yêtzer hârâh, «l'élan vers le mal». Comme
cette formule est un masculin, Rachi contourne ainsi la difficulté du pronom
masculin dans le texte en fournissant un antécédent masculin qui n'est pas
véritablement dans le texte. Dans la mesure où c'est excessif du point de vue
des règles courantes de l'amendement des textes – et du fait que la ruse
de Rachi entraîne d'autres difficultés d'interprétation, la moindre n’étant pas
le fait que Caïn ne « domine » assurément pas ses impulsions
pécheresses, ce qui correspond à la façon dont l'interprétation laborieuse de
Rachi voudrait nous faire lire ce texte – il est important de se demander
pourquoi il s'empresse d'exclure la lecture la plus naturelle, qui se trouve
être la lecture qui nous impose de réfléchir, entre autres choses, à la
dynamique tortueuse de l'agression, de la honte coupable et du pardon hésitant
entre frères qui se querellent.
    Mais, en même temps, qui ne trouve pas les moyens de
faire dire aux textes que nous lisons ce que nous voulons qu’ils disent ?
     
    2

Le son du sang de ton frère
     
     

     
    Lorsque nous sommes entrés
dans Bolechow, mes frères, ma sœur et moi, ce dimanche d'août 2001, nous étions
depuis quatre jours déjà en Europe de l'Est, et nous n'étions pas de bonne
humeur. On voyageait ensemble, tous les quatre – Andrew, Matt, Jennifer et
moi – pour la première fois depuis... quand ? Je pense que ce devait être
1967, lors des fameuses et «uniques» vacances de la famille à Océan City, dans
le Maryland, fameuses dans mon esprit moins pour le mot entre guillemets qu'en
raison du fait qu'a été diffusé, au cours de ces vacances, le dernier épisode
de la série télévisée Le Fugitif, et alors que j'avais supplié mes
parents de ne pas me laisser dormir pendant cet épisode ultime, eux, croyant
bien faire, ne m'avaient pas réveillé, ce qui fait que je n'ai jamais su ou du
moins su avec suffisamment de détails pour être satisfait dans quelles
circonstances le véritable assassin était démasqué, jamais eu la satisfaction
de voir le moment où le manchot était arrêté, le coupable pris et l'innocente
victime libérée, après tant d'années passées à être pourchassée, enfin
libérée... Je crois que c'était aussi lointain que ça trois décennies et demie,
la dernière fois que tous les enfants de mes parents, ou du moins un
pourcentage significatif, avaient voyagé ensemble. Nous avons grandi dans une
modeste maison sur deux niveaux, mes frères, ma sœur et moi, les quatre garçons
dormant deux par chambre ; mais depuis cette époque, nous avons perdu
l'habitude d'être ensemble dans des espaces réduits pour une durée quelconque.
    Comme j'ai fait des études classiques, je sais que le mot
« intime » vient du latin intimus, qui est la forme
superlative de l'adverbe in, lequel signifie la même chose qu'en anglais
– la forme comparative étant un autre mot familier en anglais, interior.
In, interior, intimus : dedans, plus dedans, le plus dedans. Je sais que
pour bien des gens qui ont des familles, ces mots vont dessiner une vérité qui
coule de source : à savoir que ceux qui ont grandi au-dedans d'une
famille se sentiront, parce qu'ils ont partagé le même espace, le même intérieur, plus proches, plus intimes qu'avec n'importe quelle autre personne,
y compris les gens qu'ils ou elles ont épousés. Mais je sais aussi, grâce à mon
expérience et à d'autres expériences, qu'être aussi intime, avoir un accès aussi
privilégié à l'intimité de ceux qui vous sont les plus proches par le sang,
aura parfois un effet opposé, poussant les membres de la famille à se fuir les
uns les autres, à chercher – nous employons invariablement le sens
littéral et le sens figuratif, de nos jours – plus « d'espace ».
    C'est, je le soupçonne, au moins en partie pour cette raison
que mes frères, ma sœur et moi n'avons pas passé beaucoup de vacances ensemble.
En écrivant ces mots, je pense à la plaisanterie amère, mais suggestive, faite
un jour par mon plus jeune frère – celui qui n'était pas venu avec nous,
sans doute à cause d'un excès d'intimité – sur les rapports que nous
entretenions. Nous sommes proches, un peu à la façon dont pouvaient l'être
les gens dans le même camp de concentration, avait-il balancé.
     
    On nous raconte qu’Abel a changé de vie pour devenir un
gardien de troupeaux,

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