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Les disparus

Titel: Les disparus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Mendelsohn
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ce
qui s'est passé, et même nier que cela a eu lieu, et lorsque vous marchez dans
un endroit comme Auschwitz, que vous errez dans l'immense plaine vertigineuse
où se dressaient autrefois les baraquements, que vous parcourez la grande
distance qui les séparent de l'endroit où se trouvaient les crématoriums, et de
là jusqu'aux nombreuses, très nombreuses, pierres commémoratives qui vous attendent,
représentant les morts innombrables de vingtaines de pays, il devient possible
de comprendre comment tant de gens ont pu passer par ici. Mais pour moi, qui
étais venu pour apprendre quelque chose sur six parmi six millions, je ne
pouvais m'empêcher de penser que l'immensité, l'échelle, la taille étaient un
obstacle, plutôt qu'un véhicule, pour l'illumination du petit pan d'histoire
qui m'intéressait.
    Il y avait aussi (ai-je pensé alors que nous passions, par
une matinée humide et dans une atmosphère envahie par les moustiques, l'entrée
béante du poste de garde en contournant un groupe de touristes Scandinaves) le
problème de la surexposition. Pendant que nous marchions, nous avons remarqué
que tout nous paraissait familier : le portail, la voie de garage, les
baraquements, le barbelé électrifié avec les pancartes d'avertissement en
allemand encore intactes, et le plus insigne, le portail, étonnamment petit
– comme c'est le cas curieusement de tant de monuments célèbres quand vous
finissez par les voir de près –, où vous lisez arbeit macht freí qui, tout en étant une tromperie du genre sardónique si
cher aux nazis, s'est révélé plus véridique à Auschwitz que les pancartes
similaires au camp de Belzec, par exemple, où il n'y avait plus qu'une seule destination
après la descente du wagon à bestiaux. Tout cela a été reproduit, photographié,
filmé, diffusé et publié si souvent qu'au moment où vous y êtes, vous vous
retrouvez en train de regarder ce qu'il est difficile de ne pas considérer
comme des « attractions », des vitrines de prothèses, de lunettes ou
de cheveux, comme vous regarderiez plus ou moins l’apatosaurus récemment
reconstruit au Natural History Muséum.
    Et donc, pendant que je marchais dans Auschwitz, je me
débattais avec la question de savoir pourquoi aller voir des endroits pareils
comme un touriste. Pas pour apprendre, au moins de façon générale, ce qui s'y
est passé ; car quiconque vient à Auschwitz et dans les nombreux sites du même
genre sait ce qui s'est passé. Et certainement pas pour se faire une meilleure
idée de « ce que c'était », comme si en voyant l'architecture ou en
percevant les dimensions de l'endroit, en sachant combien de temps il fallait
pour aller du point A au point B, on pouvait mieux comprendre l'expérience de
ceux qui étaient venus ici non pas dans des cars de tourisme climatisés, mais
dans des wagons à bestiaux. Non. Sans doute parce que je suis le fils d'un père
homme de science et d'une mère née dans une famille émotive et nostalgique, je
ne vois apparemment que deux raisons d'aller dans un endroit comme Auschwitz.
La première est scientifique et juridique : le site dans son ensemble est une
preuve géante et, de ce point de vue, voir les piles de lunettes ou de
chaussures, plutôt que de le savoir simplement ou de ne voir que des photos ou
des vidéos de ces piles de lunettes, de chaussures et de bagages, est plus
utile pour transmettre ce qui s'est passé. La seconde est sentimentale. Car
l'autre raison d'aller à Auschwitz est celle qui vous fait aller dans un
cimetière, ce qu'Auschwitz est aussi : pour reconnaître les revendications des
morts.
    C'est ce qui me préoccupait après que je suis sorti du musée
des cheveux, des chaussures et des prothèses, et que je me suis retrouvé sous
le crachin à attendre mes frères et ma sœur. Un troupeau de grands blonds
– des Suédois ? des Norvégiens ? –, qui portaient tous des sacs à dos
avec des petites bouteilles d'eau saillant d'une poche, approchait de l'endroit
où je me trouvais, juste devant les baraquements des femmes, et c'est à ce
moment-là – alors que j'étais en train de lire une plaquette qui racontait
comment des exécutions sommaires avaient eu lieu dans ce qui semblait à présent
une petite cour assez peu inquiétante, qui n'aurait pas paru déplacée dans
n'importe quelle école élémentaire américaine – c'est à ce moment-là
qu'une jeune femme à côté de moi a murmuré, Si je ne trouve pas une
bouteille d'eau,

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