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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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tousjours en avant cette
blasphemeuse appariation. Par ce que noz occupations nous chargent,
Straton a estreiné les Dieux de toute immunité d'offices, comme
sont leurs Prestres. Il fait produire et maintenir toutes choses à
nature : et de ses poids et mouvements construit les parties
du monde : deschargeant l'humaine nature de la crainte des
jugements divins.
Quod beatum æternúmque sit, id nec habere
negotii quicquam, nec exhibere alteri
. Nature veut qu'en
choses pareilles il y ait relation pareille. Le nombre donc infini
des mortels conclud un pareil nombre d'immortels : les choses
infinies, qui tuent et ruinent, en presupposent autant qui
conservent et profittent. Comme les ames des Dieux, sans langue,
sans yeux, sans oreilles, sentent entre elles chacune, ce que
l'autre sent, et jugent noz pensées : ainsi les ames des
hommes, quand elles sont libres et déprinses du corps, par le
sommeil, ou par quelque ravissement, devinent, prognostiquent, et
voyent choses, qu'elles ne sçauroyent veoir meslées aux corps.
    Les hommes, dit Sainct Paul, sont devenus fols cuidans estre
sages, et ont mué la gloire de Dieu incorruptible, en l'image de
l'homme corruptible.
    Voyez un peu ce bastelage des deifications anciennes. Apres la
grande et superbe pompe de l'enterrement, comme le feu venoit à
prendre au hault de la pyramide, et saisir le lict du trespassé,
ils laissoient en mesme temps eschapper un aigle, lequel s'en
volant à mont, signifioit que l'ame s'en alloit en Paradis. Nous
avons mille medailles, et notamment de cette honneste femme de
Faustine, où cet aigle est representé, emportant à la chevremorte
vers le ciel ces ames deifiées. C'est pitié que nous nous pippons
de nos propres singeries et inventions,
    Quod finxere
timent
 ;
    comme les enfans qui s'effrayent de ce mesme visage qu'ils ont
barbouillé et noircy à leur compagnon.
Quasi quicquam
infelicius sit homine, cui sua figmenta dominantur
. C'est bien
loin d'honorer celuy qui nous a faicts, que d'honorer celuy que
nous avons faict. Auguste eut plus de temples que Jupiter, servis
avec autant de religion et creance de miracles. Les Thasiens en
recompense des biens-faicts qu'ils avoyent receuz d'Agesilaus, luy
vindrent dire qu'ils l'avoyent canonisé : Vostre nation, leur
dit-il, a elle ce pouvoir de faire Dieu qui bon luy semble ?
Faictes en pour voir l'un d'entre vous, et puis quand j'auray veu
comme il s'en sera trouvé, je vous diray grandmercy de vostre
offre.
    L'homme est bien insensé : Il ne sçauroit forger un ciron,
et forge des Dieux à douzaines.
    Oyez Trismegiste louant nostre suffisance : De toutes les
choses admirables a surmonté l'admiration, que l'homme ayt peu
trouver, la divine nature, et la faire.
    Voicy des arguments de l'escole mesme de la philosophie.
    Nosse cui Divos et cæli numina
soli,
Aut soli nescire datum.
    Si Dieu est, il est animal, s'il est animal, il a sens, et s'il
a sens, il est subject à corruption. S'il est sans corps, il est
sans ame, et par consequent sans action : et s'il a corps, il
est perissable. Voyla pas triomphé ?
    Nous sommes incapables d'avoir faict le monde : il y a donc
quelque nature plus excellente, qui y a mis la main. Ce seroit une
sotte arrogance de nous estimer la plus parfaicte chose de cet
univers. Il y a donc quelque chose de meilleur : Cela c'est
Dieu. Quand vous voyez une riche et pompeuse demeure, encore que
vous ne sçachiez qui en est le maistre ; si ne direz vous pas
qu'elle soit faicte pour des rats. Et cette divine structure, que
nous voyons du palais celeste, n'avons nous pas à croire, que ce
soit le logis de quelque maistre plus grand que nous ne
sommes ? Le plus hault est-il pas tousjours le plus
digne ? Et nous sommes placez au plus bas. Rien sans ame et
sans raison ne peut produire un animant capable de raison. Le monde
nous produit : Il a donc ame et raison. Chasque part de nous
est moins que nous. Nous sommes part du monde. Le monde est donc
fourny de sagesse et de raison, et plus abondamment que nous ne
sommes. C'est belle chose que d'avoir un grand gouvernement. Le
gouvernement du monde appartient donc à quelque heureuse nature.
Les astres ne nous font pas de nuisance : Ils sont donc pleins
de bonté. Nous avons besoing de nourriture, aussi ont donc les
Dieux, et se paissent des vapeurs de ça bas. Les biens mondains ne
sont pas biens à Dieu : Ce ne sont donc pas biens à nous.
L'offenser, et l'estre offencé sont egalement

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