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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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ou
autre estoffe de son usage ? S'enquiert-on à Zenon que c'est
que nature ? Un feu, dit-il, artiste, propre à engendrer,
procedant reglément. Archimedes maistre de cette science qui
s'attribue la presseance sur toutes les autres en verité et
certitude : Le Soleil, dit-il, est un Dieu de fer enflammé.
Voyla pas une belle imagination produicte de l'inevitable necessité
des demonstrations geometriques ? Non pourtant si inevitable
et utile, que Socrates n'ayt estimé, qu'il suffisoit d'en sçavoir,
jusques à pouvoir arpenter la terre qu'on donnoit et
recevoit : et que Polyænus, qui en avoit esté fameux et
illustre docteur, ne les ayt prises à mespris, comme pleines de
fauceté, et de vanité apparente, apres qu'il eut gousté les doux
fruicts des jardins poltronesques d'Epicurus, Socrates en Xenophon
sur ce propos d'Anaxagoras, estimé par l'antiquité entendu au
dessus de touts autres, és choses celestes et divines, dit, qu'il
se troubla du cerveau, comme font tous hommes, qui perscrutent
immoderément les cognoissances, qui ne sont de leur appartenance.
Sur ce qu'il faisoit le Soleil une pierre ardente, il ne s'advisoit
pas, qu'une pierre ne luit point au feu, et, qui pis est, qu'elle
s'y consomme. En ce qu'il faisoit un, du Soleil et du feu, que le
feu ne noircit pas ceux qu'il regarde : que nous regardons
fixement le feu : que le feu tue les plantes et les herbes.
C'est à l'advis de Socrates, et au mien aussi, le plus sagement
jugé du ciel, que n'en juger point.
    Platon ayant à parler des daimons au Timée : C'est
entreprinse, dit-il, qui surpasse nostre portée : il en faut
croire ces anciens, qui se sont dicts engendrez d'eux. C'est contre
raison de refuser foy aux enfants des Dieux, encore que leur dire
ne soit estably par raisons necessaires, ny vray-semblables :
puis qu'ils nous respondent, de parler de choses domestiques et
familieres.
    Voyons si nous avons quelque peu plus de clarté en la
cognoissance des choses humaines et naturelles.
    N'est-ce pas une ridicule entreprinse, à celles ausquelles par
nostre propre confession nostre science ne peut atteindre, leur
aller forgeant un autre corps, et prestant une forme faulce de
nostre invention : comme il se void au mouvement des planetes,
auquel d'autant que nostre esprit ne peut arriver, ny imaginer sa
naturelle conduite, nous leur prestons du nostre, des ressors
materiels, lourds, et corporels :
    temo aureus, aurea summæ
Curvatura rotæ, radiorum argenteus ordo.
    Vous diriez que nous avons eu des cochers, des charpentiers, et
des peintres, qui sont allez dresser là hault des engins à divers
mouvemens, et ranger les roüages et entrelassemens des corps
celestes bigarrez en couleur, autour du fuseau de la necessité,
selon Platon.
    Mundus domus est maxima
rerum,
Quam quinque altitonæ fragmine zonæ
Cingunt, per quam limbus pictus bis sex signis,
Stellimicantibus, altus in obliquo æthere, lunæ
Bigas acceptat.
    Ce sont tous songes et fanatiques folies. Que ne plaist-il un
jour à nature nous ouvrir son sein, et nous faire voir au propre,
les moyens et la conduicte de ses mouvements, et y preparer noz
yeux ? O Dieu quels abus, quels mescomtes nous trouverions en
nostre pauvre science ! Je suis trompé, si elle tient une
seule chose, droictement en son poinct : et m'en partiray
d'icy plus ignorant toute autre chose, que mon ignorance.
    Ay-je pas veu en Platon ce divin mot, que nature n'est rien
qu'une poësie ainigmatique ? Comme, peut estre, qui diroit,
une peinture voilée et tenebreuse, entreluisant d'une infinie
varieté de faux jours à exercer noz conjectures.
     
    Latent ista omnia crassis occultata Et circumfusa
tenebris : ut nulla acies humani ingenii tanta sit, quæ
penetrare in cælum, terram intrare possit
.
    Et certes la philosophie n'est qu'une poësie sophistiquée :
D'où tirent ces autheurs anciens toutes leur authoritez, que des
poëtes ? Et les premiers furent poetes eux mesmes, et la
traicterent en leur art. Platon n'est qu'un poete descousu. Toutes
les sciences sur-humaines s'accoustrent du stile poetique.
    Tout ainsi que les femmes employent des dents d'yvoire, où les
leurs naturelles leur manquent, et au lieu de leur vray teint, en
forgent un de quelque matiere estrangere : comme elles font
des cuisses de drap et de feutre, et de l'embonpoinct de
coton : et au veu et sçeu d'un chacun s'embellissent d'une
beauté fauce et empruntée : ainsi fait la science (et nostre
droict mesme a, dit-on, des

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