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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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cerveau, l'une nous cause le rire, l'autre le pleurer, telle
autre transit et estonne tous noz sens, et arreste le mouvement de
noz membres, à tel object l'estomach se sousleve, à tel autre
quelque partie plus basse. Mais comme une impression spirituelle,
face une telle faucée dans un subject massif, et solide, et la
nature de la liaison et cousture de ces admirables ressorts, jamais
homme ne l'a sçeu :
Omnia incerta ratione, et in naturæ
majestate abdita
, dit Pline ; et S. Augustin,
Modus,
quo corporibus adhærent spiritus, omnino mirus est, nec comprehendi
ab homine potest : et hoc ipse homo est
. Et si ne le met
on pas pourtant en doubte : car les opinions des hommes, sont
receuës à la suitte des creances anciennes, par authorité et à
credit, comme si c'estoit religion et loy. On reçoit comme un
jargon ce qui en est communement tenu : on reçoit cette
verité, avec tout son bastiment et attelage d'argumens et de
preuves, comme un corps ferme et solide, qu'on n'esbranle plus,
qu'on ne juge plus. Au contraire, chacun à qui mieux mieux, va
plastrant et confortant cette creance receue, de tout ce que peut
sa raison, qui est un util soupple contournable, et accommodable à
toute figure. Ainsi se remplit le monde et se confit en fadeze et
en mensonge.
    Ce qui fait qu'on ne doubte de guere de choses, c'est que les
communes impressions on ne les essaye jamais ; on n'en sonde
point le pied, où git la faute et la foiblesse : on ne debat
que sur les branches : on ne demande pas si celà est vray,
mais s'il a esté ainsin ou ainsin entendu. On ne demande pas si
Galen a rien dict qui vaille : mais s'il a dict ainsin, ou
autrement. Vrayement c'estoit bien raison que cette bride et
contrainte de la liberté de noz jugements, et cette tyrannie de noz
creances, s'estendist jusques aux escholes et aux arts. Le Dieu de
la science scholastique, c'est Aristote : c'est religion de
debattre de ses ordonnances, comme de celles de Lycurgus à Sparte.
Sa doctrine nous sert de loy magistrale : qui est à
l'advanture autant faulce que une autre. Je ne sçay pas pourquoy je
n'acceptasse autant volontiers ou les idées de Platon, ou les
atomes d'Epicurus, ou le plein et le vuide de Leucippus et
Democritus, ou l'eau de Thales, ou l'infinité de nature
d'Anaximander, ou l'air de Diogenes, ou les nombres et symmetrie de
Pythagoras, ou l'infiny de Parmenides, ou l'un de Musæus, ou l'eau
et le feu d'Apollodorus, ou les parties similaires d'Anaxagoras, ou
la discorde et amitié d'Empedocles, ou le feu de Heraclitus, ou
toute autre opinion, (de cette confusion infinie d'advis et de
sentences, que produit cette belle raison humaine par sa certitude
et clairvoyance, en tout ce dequoy elle se mesle) que je feroy
l'opinion d'Aristote, sur ce subject des principes des choses
naturelles : Lesquels principes il bastit de trois pieces,
matiere, forme, et privation. Et qu'est-il plus vain que de faire
l'inanité mesme, cause de la production des choses ? La
privation c'est une negative : de quelle humeur en a-il peu
faire la cause et origine des choses qui sont ? Cela
toutesfois ne s'oseroit esbranler que pour l'exercice de la
Logique. On n'y debat rien pour le mettre en doute, mais pour
deffendre l'autheur de l'escole des objections estrangeres :
son authorité c'est le but, au delà duquel il n'est pas permis de
s'enquerir.
    Il est bien aisé sur des fondemens avouez, de bastir ce qu'on
veut ; car selon la loy et ordonnance de ce commencement, le
reste des pieces du bastiment se conduit aisément, sans se
dementir. Par cette voye nous trouvons nostre raison bien fondée,
et discourons à boule-veuë : Car nos maistres præoccupent et
gaignent avant main, autant de lieu en nostre creance, qu'il leur
en faut pour conclurre apres ce qu'ils veulent ; à la mode des
Geometriens par leurs demandes avouées : le consentement et
approbation que nous leurs prestons, leur donnant dequoy nous
trainer à gauche et à dextre, et nous pyrouetter à leur volonté.
Quiconque est creu de ses presuppositions, il est nostre maistre et
nostre Dieu : il prendra le plant de ses fondemens si ample et
si aisé, que par iceux il nous pourra monter, s'il veut, jusques
aux nuës. En cette pratique et negotiation de science, nous avons
pris pour argent content le mot de Pythagoras, que chaque expert
doit estre creu en son art. Le Dialecticien se rapporte au
Grammairien de la signification des mots : le Rhetoricien
emprunte du Dialecticien les lieux

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