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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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restif
et poussif.
    Mon enfance mesme a esté conduicte d'une façon molle et libre,
et lors mesme exempte de subjection rigoureuse. Tout cela m'a donné
une complexion delicate et incapable de sollicitude ; jusques
là, que j'ayme qu'on me cache mes pertes, et les desordres qui me
touchent : Au chapitre de mes mises, je loge ce que ma
nonchalance me couste à nourrir et entretenir :
    hæc nempe supersunt,
Quæ dominum fallunt, quæ prosint furibus
.
    J'ayme à ne sçavoir pas le compte de ce que j'ay, pour sentir
moins exactement ma perte. Je prie ceux qui vivent avec moy, où
l'affection leur manque, et les bons effects, de me pipper et payer
de bonnes apparances. A faute d'avoir assez de fermeté, pour
souffrir l'importunité des accidens contraires, ausquels nous
sommes subjects, et pour ne me pouvoir tenir tendu à regler et
ordonner les affaires, je nourris autant que je puis en moy
cett'opinion : m'abandonnant du tout à la fortune, de prendre
toutes choses au pis ; et ce pis la, me resoudre à le porter
doucement et patiemment. C'est à cela seul, que je travaille, et le
but auquel j'achemine tous mes discours.
    A un danger, je ne songe pas tant comment j'en eschapperay, que
combien peu il importe que j'en eschappe : Quand j'y
demeurerois, que seroit ce ? Ne pouvant regler les evenemens,
je me regle moy-mesme : et m'applique à eux, s'ils ne
s'appliquent à moy. Je n'ay guere d'art pour sçavoir gauchir la
fortune, et luy eschapper, ou la forcer ; et pour dresser et
conduire par prudence les choses à mon poinct. J'ay encore moins de
tolerance, pour supporter le soing aspre et penible qu'il faut à
cela. Et la plus penible assiete pour moy, c'est estre suspens és
choses qui pressent, et agité entre la crainte et l'esperance. Le
deliberer, voire és choses plus legeres, m'importune. Et sens mon
esprit plus empesché à souffrir le bransle, et les secousses
diverses du doute, et de la consultation, qu'à se rassoir et
resoudre à quelque party que ce soit, apres que la chance est
livrée. Peu de passions m'ont troublé le sommeil, mais des
deliberations, la moindre me le trouble. Tout ainsi que des
chemins, j'en evite volontiers les costez pendants et glissans, et
me jette dans le battu, le plus boüeux, et enfondrant, d'où je ne
puisse aller plus bas, et y cherche seurté : Aussi j'ayme les
malheurs tous purs, qui ne m'exercent et tracassent plus, apres
l'incertitude de leur rabillage : et qui du premier saut me
poussent droictement en la souffrance.
    dubia plus torquent
mala
.
    Aux evenemens, je me porte virilement, en la conduicte
puerilement. L'horreur de la cheute me donne plus de fiebvre que le
coup. Le jeu ne vaut pas la chandelle. L'avaritieux a plus mauvais
conte de sa passion, que n'a le pauvre : et le jaloux, que le
cocu. Et y a moins de mal souvent, à perdre sa vigne, qu'à la
plaider. La plus basse marche, est la plus ferme : c'est le
siege de la constance : Vous n'y avez besoing que de
vous : Elle se fonde là, et appuye toute en soy. Cet exemple,
d'un gentil-homme que plusieurs ont cogneu, a il pas quelque air
philosophique ? Il se marya bien avant en l'aage, ayant passé
en bon compaignon sa jeunesse, grand diseur, grand gaudisseur. Se
souvenant combien la matiere de cornardise luy avoit donné dequoy
parler et se moquer des autres : pour se mettre à couvert, il
espousa une femme, qu'il print au lieu, où chacun en trouve pour
son argent, et dressa avec elle ses alliances : Bon jour
putain, bon jour cocu : et n'est chose dequoy plus souvent et
ouvertement, il entretinst chez luy les survenans, que de ce sien
dessein : par où il bridoit les occultes caquets des moqueurs,
et esmoussoit la poincte de ce reproche.
    Quant à l'ambition, qui est voisine de la presumption, ou fille
plustost, il eust fallu pour m'advancer, que la fortune me fust
venu querir par le poing : car de me mettre en peine pour
un'esperance incertaine, et me soubmettre à toutes les difficultez,
qui accompaignent ceux qui cherchent à se pousser en credit, sur le
commencement de leur progrez, je ne l'eusse sçeu faire,
    spem pretio non emo
.
    Je m'attache à ce que je voy, et que je tiens, et ne m'eslongne
guere du port :
    Alter remus aquas, alter tibi
radat arenas
.
    Et puis on arrive peu à ces avancements, qu'en hazardant
premierement le sien : Et je suis d'advis, que si ce qu'on a,
suffit à maintenir la condition en laquelle on est nay, et dressé,
c'est folie d'en lascher la prise, sur

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