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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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ce qu'il sert : et qui ne craind
point à dire mensonge, quand il n'importe à personne, il n'est pas
veritable suffisamment. Mon ame de sa complexion refuit la
menterie, et haït mesme à la penser.
    J'ay un'interne vergongne et un remors piquant, si par fois elle
m'eschappe, comme par fois elle m'eschappe, les occasions me
surprenans et agitans impremeditement.
    Il ne faut pas tousjours dire tout, car ce seroit sottise :
Mais ce qu'on dit, il faut qu'il soit tel qu'on le pense :
autrement, c'est meschanceté. Je ne sçay quelle commodité ils
attendent de se faindre et contrefaire sans cesse : si ce
n'est, de n'en estre pas creus, lors mesmes qu'ils disent verité.
Cela peut tromper une fois ou deux les hommes : mais de faire
profession de se tenir couvert : et se vanter, comme ont faict
aucuns de nos Princes, qu'ils jetteroient leur chemise au feu, si
elle estoit participante de leurs vrayes intentions, qui est un mot
de l'ancien Metellus Macedonicus : et qui ne sçait se faindre,
ne sçait pas regner : c'est tenir advertis ceux qui ont à les
praticquer, que ce n'est que piperie et mensonge qu'ils disent.
Quo quis versutior et callidior est, hoc invisior et
suspectior, detracta opinione probitatis
. Ce seroit une grande
simplesse à qui se lairroit amuser ny au visage ny aux parolles de
celuy, qui fait estat d'estre tousjours autre au dehors, qu'il
n'est au dedans : comme faisoit Tibere. Et ne sçay quelle part
telles gens peuvent avoir au commerce des hommes, ne produisans
rien qui soit receu pour comptant.
    Qui est desloyal envers la verité, l'est aussi envers le
mensonge.
    Ceux qui de nostre temps ont consideré en l'establissement du
devoir d'un prince, le bien de ses affaires seulement : et
l'ont preferé au soing de sa foy et conscience, diroyent quelque
chose à un prince, de qui la fortune auroit rengé à tel poinct les
affaires, que pour tout jamais il les peust establir par un seul
manquement et faute à sa parole. Mais il n'en va pas ainsi. On
rechet souvent en pareil marché : on fait plus d'une paix,
plus d'un traitté en sa vie. Le gain, qui les convie à la premiere
desloyauté, et quasi tousjours il s'en presente, comme à toutes
autres meschancetez : Les sacrileges, les meurtres, les
rebellions, les trahisons, s'entreprennent pour quelque espece de
fruit. Mais ce premier gain apporte infinis dommages
suyvants : jettant ce prince hors de tout commerce, et de tout
moyen de negotiation par l'exemple de ceste infidelité. Solyman de
la race des Ottomans, race peu soigneuse de l'observance des
promesses et paches, lors que de mon enfance, il fit descendre son
armée à Otrante, ayant sçeu que Mercurin de Gratinare, et les
habitants de Castro, estoyent detenus prisonniers, apres avoir
rendu la place, contre ce qui avoit esté capitulé par ses gents
avec eux, manda qu'on les relaschast : et qu'ayant en main
d'autres grandes entreprises en ceste contrée là, ceste desloyauté,
quoy qu'elle eust apparence d'utilité presente, luy apporteroit
pour l'advenir, un descri et une deffiance d'infini prejudice.
    Or de moy j'ayme mieux estre importun et indiscret, que flateur
et dissimulé.
    J'advoüe qu'il se peut mesler quelque poincte de fierté, et
d'opiniastreté, à se tenir ainsin entier et ouvert comme je suis
sans consideration d'autruy. Et me semble que je deviens un peu
plus libre, où il le faudroit moins estre : et que je
m'eschauffe par l'opposition du respect. Il peut estre aussi, que
je me laisse aller apres ma nature à faute d'art. Presentant aux
grands ceste mesme licence de langue, et de contenance que
j'apporte de ma maison : je sens combien elle decline vers
l'indiscretion et incivilité : Mais outre ce que je suis ainsi
faict, je n'ay pas l'esprit assez souple pour gauchir à une prompte
demande, et pour en eschapper par quelque destour : ny pour
feindre une verité, ny assez de memoire pour la retenir ainsi
feinte : ny certes assez d'asseurance pour la maintenir :
et fais le brave par foiblesse. Parquoy je m'abandonne à la
nayfveté, et à tousjours dire ce que je pense, et par complexion,
et par dessein : laissant à la fortune d'en conduire
l'evenement.
    Aristippus disoit le principal fruit, qu'il eust tiré de la
philosophie, estre, qu'il parloit librement et ouvertement à
chacun.
    C'est un outil de merveilleux service, que la memoire, et sans
lequel le jugement fait bien à peine son office : elle me
manque du tout. Ce qu'on me veut proposer, il faut que ce

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