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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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Et si ces
verges poëtiques :
    Zon sus l'oeil, zon sur le
groin,
Zon sur le dos du Sagoin,
    s'impriment encore mieux en papier, qu'en la chair vive. Quoy si
je preste un peu plus attentivement l'oreille aux livres, depuis
que je guette, si j'en pourray friponner quelque chose dequoy
esmailler ou estayer le mien ?
    Je n'ay aucunement estudié pour faire un livre : mais j'ay
aucunement estudié, pour ce que je l'avoy faict : si c'est
aucunement estudier, qu'effleurer et pincer, par la teste, ou par
les pieds, tantost un autheur, tantost un autre : nullement
pour former mes opinions : Ouï, pour les assister, pieça
formées, seconder et servir.
    Mais à qui croirons nous parlant de soy, en une saison si
gastée ? veu qu'il en est peu, ou point, à qui nous puissions
croire parlants d'autruy, où il y a moins d'interest à mentir. Le
premier traict de la corruption des moeurs, c'est le bannissement
de la verité ; car comme disoit Pindare, l'estre veritable,
est le commencement d'une grande vertu, et le premier article que
Platon demande au gouverneur de sa republique. Nostre verité de
maintenant, ce n'est pas ce qui est, mais ce qui se persuade à
autruy : comme nous appellons monnoye, non celle qui est
loyalle seulement, mais la fauce aussi, qui a mise. Nostre nation
est de long temps reprochée de ce vice : Car Salvianus
Massiliensis, qui estoit du temps de l'Empereur Valentinian, dit
qu'aux François le mentir et se parjurer n'est pas vice, mais une
façon de parler. Qui voudroit encherir sur ce tesmoignage, il
pourroit dire que ce leur est à present vertu. On s'y forme, on s'y
façonne, comme à un exercice d'honneur : car la dissimulation
est des plus notables qualitez de ce siecle.
    Ainsi j'ay souvent consideré d'où pouvoit naistre cette
coustume, que nous observons si religieusement, de nous sentir plus
aigrement offencez du reproche de ce vice, qui nous est si
ordinaire, que de nul autre : et que ce soit l'extreme injure
qu'on nous puisse faire de parolle, que de nous reprocher la
mensonge. Sur cela, je treuve qu'il est naturel, de se deffendre le
plus, des deffaux, dequoy nous sommes le plus entachez. Il semble
qu'en nous ressentans de l'accusation, et nous en esmouvans, nous
nous deschargeons aucunement de la coulpe : si nous l'avons
par effect, aumoins nous la condamnons par apparence.
    Seroit-ce pas aussi, que ce reproche semble envelopper la
couardise et lascheté de coeur ? En est-il de plus expresse,
que se desdire de sa parolle ? quoy se desdire de sa propre
science ?
    C'est un vilain vice, que le mentir ; et qu'un ancien peint
bien honteusement, quand il dit, que c'est donner tesmoignage de
mespriser Dieu, et quand et quand de craindre les hommes. Il n'est
pas possible d'en representer plus richement l'horreur, la vilité,
et le desreglement : Car que peut on imaginer plus vilain, que
d'estre couart à l'endroit des hommes, et brave à l'endroit de
Dieu ? Nostre intelligence se conduisant par la seule voye de
la parolle, celuy qui la fauce, trahit la societé publique. C'est
le seul util, par le moyen duquel se communiquent noz volontez et
noz pensées : c'est le truchement de nostre ame : s'il
nous faut, nous ne nous tenons plus, nous ne nous entrecognoissons
plus. S'il nous trompe, il rompt tout nostre commerce, et dissoult
toutes les liaisons de nostre police.
    Certaines nations des nouvelles Indes (on n'a que faire d'en
remerquer les noms, ils ne sont plus ; car jusques à l'entier
abolissement des noms, et ancienne cognoissance des lieux, s'est
estendue la desolation de ceste conqueste, d'un merveilleux
exemple, et inouy) offroyent à leurs Dieux, du sang humain, mais
non autre, que tiré de leur langue, et oreilles, pour expiation du
peché de la mensonge, tant ouye que prononcée.
    Ce bon compagnon de Grece disoit, que les enfans s'amusent par
les osselets, les hommes par les parolles.
    Quant aux divers usages de noz desmentirs, et les loix de nostre
honneur en cela, et les changemens qu'elles ont reçeu, je remets à
une autre-fois d'en dire ce que j'en sçay ; et apprendray
cependant, si je puis, en quel temps print commencement cette
coustume, de si exactement poiser et mesurer les parolles, et d'y
attacher nostre honneur : car il est aisé à juger qu'elle
n'estoit pas anciennement entre les Romains et les Grecs : Et
m'a semblé souvent nouveau et estrange, de les voir se dementir et
s'injurier, sans entrer pourtant en querelle. Les loix de leur
devoir, prenoient

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