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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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empeschement et sans crainte servist à
la religion. Ce qu'il sollicitoit avec grand soing, pour
l'esperance que cette licence augmenteroit les parts et les brigues
de la division, et empescheroit le peuple de se reünir, et de se
fortifier par consequent, contre luy, par leur concorde, et unanime
intelligence : ayant essayé par la cruauté d'aucuns
Chrestiens, qu'il n'y a point de beste au monde tant à craindre à
l'homme, que l'homme.
    Voyla ses mots à peu pres : en quoy cela est digne de
consideration, que l'Empereur Julian se sert pour attiser le
trouble de la dissention civile, de cette mesme recepte de liberté
de conscience, que noz Roys viennent d'employer pour l'estaindre.
On peut dire d'un costé, que de lascher la bride aux pars
d'entretenir leur opinion, c'est espandre et semer la division,
c'est prester quasi la main à l'augmenter, n'y ayant aucune
barriere ny coërction des loix, qui bride et espesche sa course.
Mais d'autre costé, on diroit aussi, que de lascher la bride aux
pars d'entretenir leur opinion, c'est les amollir et relascher par
la facilité, et par l'aisance, et que c'est esmousser l'eguillon
qui s'affine par la rareté, la nouvelleté, et la difficulté. Et si
croy mieux, pour l'honneur de la devotion de noz Roys ; c'est,
que n'ayans peu ce qu'ils vouloient, ils ont fait semblant de
vouloir ce qu'ils ne pouvoient.

Chapitre 20 Nous ne goustons rien de pur
    LA foiblesse de nostre condition, fait que les choses en leur
simplicité et pureté naturelle ne puissent pas tomber en nostre
usage. Les elemens que nous jouyssons, sont alterez : et les
metaux de mesme, et l'or, il le faut empirer par quelque autre
matiere, pour l'accommoder à nostre service.
    Ny la vertu ainsi simple, qu'Ariston et Pyrrho, et encore les
Stoiciens faisoient fin de la vie, n'y a peu servir sans
composition : ny la volupté Cyrenaique et Aristippique.
    Des plaisirs, et biens que nous avons, il n'en est aucun exempt
de quelque meslange de mal et d'incommodité :
    medio de fonte leporum
Surgit amari aliquid, quod in ipsis floribus angat
.
    Nostre extreme volupté a quelque air de gemissement, et de
plainte. Diriez vous pas qu'elle se meurt d'angoisse ? Voire
quand nous en forgeons l'image en son excellence, nous la fardons
d'epithetes et qualitez maladifves, et douloureuses :
Langueur, mollesse, foiblesse, deffaillance,
morbidezza
,
grand tesmoignage de leur consanguinité, et consubstantialité.
    La profonde joye a plus de severité, que de gayeté. L'extreme et
plein contentement, plus de rassis que d'enjoué.
Ipsa
felicitas, se nisi temperat, premit
. L'aise nous masche.
    C'est ce que dit un verset Grec ancien, de tel sens : Les
dieux nous vendent tous les biens qu'ils nous donnent : c'est
à dire, ils ne nous en donnent aucun pur et parfaict, et que nous
n'achetions au prix de quelque mal.
    Le travail et le plaisir, tres-dissemblables de nature,
s'associent pourtant de je ne sçay quelle joincture naturelle.
    Socrates dit, que quelque Dieu essaya de mettre en masse, et
confondre la douleur et la volupté : mais, que n'en pouvant
sortir, il s'advisa de les accouppler au moins par la queuë.
    Metrodorus disoit qu'en la tristesse, il y a quelque alliage de
plaisir : Je ne sçay s'il vouloit dire autre chose ; mais
moy, j'imagine bien, qu'il y a du dessein, du consentement, et de
la complaisance, à se nourrir en la melancholie. Je dis outre
l'ambition, qui s'y peut encore mesler : il y a quelque ombre
de friandise et delicatesse, qui nous rit et qui nous flatte, au
giron mesme de la melancholie. Y a-il pas des complexions qui en
font leur aliment ?
    est quædam flere
voluptas
.
    Et dit un Attalus en Seneque, que la memoire de noz amis perdus
nous aggrée comme l'amer au vin trop vieil :
    Minister veteris puer
falerni
Ingere mi calices amariores 
:
    et comme des pommes doucement aigres.
    Nature nous descouvre cette confusion : Les peintres
tiennent, que les mouvemens et plis du visage, qui servent au
pleurer, servent aussi au rire : De vray, avant que l'un ou
l'autre soyent achevez d'exprimer, regardez à la conduitte de la
peinture, vous estes en doubte, vers lequel c'est qu'on va. Et
l'extremité du rire se mesle aux larmes.
Nullum sine
auctoramento malum est
. Quand j'imagine l'homme assiegé de
commoditez desirables : mettons le cas, que touts ses membres
fussent saisis pour tousjours, d'un plaisir pareil à celuy de la
generation en son poinct plus excessif : je le sens fondre
soubs la

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