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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Montaigne
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aux siens, de couver inutilement un grand tas de
richesses. Il est assez en estat, s'il est sage, pour avoir desir
de se despouiller pour se coucher, non pas jusques à la chemise,
mais jusques à une robbe de nuict bien chaude : le reste des
pompes, dequoy il n'a plus que faire, il doit en estrener
volontiers ceux, à qui par ordonnance naturelle cela doit
appartenir. C'est raison qu'il leur en laisse l'usage, puis que
nature l'en prive : autrement sans doute il y a de la malice
et de l'envie. La plus belle des actions de l'Empereur Charles
cinquiesme fut celle-là, à l'imitation d'aucuns anciens de son
qualibre, d'avoir sçeu recognoistre que la raison nous commande
assez de nous despouiller, quand noz robbes nous chargent et
empeschent, et de nous coucher quand les jambes nous faillent. Il
resigna ses moyens, grandeur et puissance à son fils, lors qu'il
sentit defaillir en soy la fermeté et la force pour conduire les
affaires, avec la gloire qu'il y avoit acquise.
    Solve senescentem mature sanus
equum, ne
Peccet ad extremum ridendus, et ilia ducat
.
    Cette faute, de ne se sçavoir recognoistre de bonne heure, et ne
sentir l'impuissance et extreme alteration que l'aage apporte
naturellement et au corps et à l'ame, qui à mon opinion est esgale,
si l'ame n'en a plus de la moitié, a perdu la reputation de la plus
part des grands hommes du monde. J'ay veu de mon temps et cognu
familierement, des personnages de grande authorité, qu'il estoit
bien aisé à voir, estre merveilleusement descheuz de cette ancienne
suffisance, que je cognoissois par la reputation qu'ils en avoient
acquise en leurs meilleurs ans. Je les eusse pour leur honneur
volontiers souhaitez retirez en leur maison à leur aise, et
deschargez des occupations publiques et guerrieres, qui n'estoient
plus pour leurs espaules. J'ay autrefois esté privé en la maison
d'un gentilhomme veuf et fort vieil, d'une vieillesse toutefois
assez verte. Cettuy-cy avoit plusieurs filles à marier, et un fils
desja en aage de paroistre ; cela chargeoit sa maison de
plusieurs despences et visites estrangeres, à quoy il prenoit peu
de plaisir, non seulement pour le soin de l'espargne, mais encore
plus, pour avoir, à cause de l'aage, pris une forme de vie fort
esloignée de la nostre. Je luy dy un jour un peu hardiment, comme
j'ay accoustumé, qu'il luy sieroit mieux de nous faire place, et de
laisser à son fils sa maison principale, (car il n'avoit que
celle-là de bien logée et accommodée) et se retirer en une sienne
terre voisine, où personne n'apporteroit incommodité à son repos,
puis qu'il ne pouvoit autrement eviter nostre importunité, veu la
condition de ses enfans. Il m'en creut depuis, et s'en trouva
bien.
    Ce n'est pas à dire qu'on leur donne, par telle voye
d'obligation, de laquelle on ne se puisse plus desdire : je
leur lairrois, moy qui suis à mesme de jouer ce rolle, la
jouyssance de ma maison et de mes biens, mais avec liberté de m'en
repentir, s'ils m'en donnoyent occasion : je leur en lairrois
l'usage, par ce qu'il ne me seroit plus commode : Et de
l'authorité des affaires en gros, je m'en reserverois autant qu'il
me plairoit. Ayant tousjours jugé que ce doit estre un grand
contentement à un pere vieil, de mettre luy-mesme ses enfans en
train du gouvernement de ses affaires, et de pouvoir pendant sa vie
contreroller leurs deportemens : leur fournissant
d'instruction et d'advis suyvant l'experience qu'il en a, et
d'acheminer luy mesme l'ancien honneur et ordre de sa maison en la
main de ses successeurs, et se respondre par là, des esperances
qu'il peut prendre de leur conduicte à venir. Et pour cet effect,
je ne voudrois pas fuir leur compagnie, je voudrois les esclairer
de pres, et jouyr selon la condition de mon aage, de leur
allegresse, et de leurs festes. Si je ne vivoy parmy eux (comme je
ne pourroy sans offencer leur assemblée par le chagrin de mon aage,
et l'obligation de mes maladies, et sans contraindre aussi et
forcer les regles et façons de vivre que j'auroy lors) je voudroy
au moins vivre pres d'eux en un quartier de ma maison, non pas le
plus en parade, mais le plus en commodité. Non comme je vy il y a
quelques années, un Doyen de S. Hilaire de Poictiers, rendu à telle
solitude par l'incommodité de sa melancholie, que lors que j'entray
en sa chambre, il y avoit vingt deux ans, qu'il n'en estoit sorty
un seul pas ; et si avoit toutes ses actions libres et aysées,
sauf un reume qui luy tomboit sur l'estomac.

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